L’Esplanade des ouvriers de la Tour Eiffel inaugurée en hommage à ceux qui l’ont bâtie


NOUS Y ÉTIONS – Les «charpentiers du ciel» ont construit la Dame de fer entre janvier 1887 et mars 1889. Mercredi, Anne Hidalgo a dévoilé la plaque de la place qui leur rend hommage sous le monument. La dénomination avait été votée il y a 10 ans par le Conseil de Paris.

Les touristes se pressent autour de la paroi vitrée (et blindée), qui clôture le site de la Tour Eiffel depuis 2018. Le pupitre installé dans une zone entourée d’un ruban rouge signale l’inauguration aux curieux. Mercredi 27 octobre, la mairie de Paris rendait hommage aux 250 ouvriers qui ont bâti la Dame de Fer, haute de 324 mètres de haut. Désormais, l’Esplanade des ouvriers de la Tour Eiffel rappellera que, durant 795 jours, soit 2 ans 2 mois et 5 jours, de janvier 1887 à mars 1889, les ouvriers de l’ingénieur Eiffel ont courbé l’échine, voire risqué leur vie, pour que jaillisse le monument.

Les invités sont debout, emmitouflés dans leurs longs manteaux d’hiver. Plus d’un siècle après sa construction, la petite-fille d’un des célébrés, Maria Luisa Provini, 90 ans, est installée sur une chaise pliante. Auprès de la maire du VIIe arrondissement, Rachida Dati, de l’adjointe à la mairie de Paris chargée du patrimoine, Karen Taïeb et de Jean-François Martins, président de la société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE) sont rassemblés quelques-uns des descendants de ces «charpentiers du ciel». La moitié des ouvriers se trouvait aux ateliers de Levallois, pour fabriquer les 18.000 pièces – d’environ 5 mètres chacune – qui composent l’édifice.

Haute voltige

Le cœur de cette entreprise pharaonique repose sur l’utilisation de 2,5 millions de rivets, qui tiennent la structure de fer. Si les deux tiers ont été posés en atelier à l’aide de machines, les autres le seront sur place, en altitude notamment. Pour ce faire, des équipes de quatre hommes sont montées. Un pour chauffer le rivet, un pour le tenir en place, un pour former la tête, un dernier pour achever l’écrasement à coups de masse. Le tout, qu’il grêle ou qu’il vente. Les 117 riveurs et «ramoneurs» sélectionnés pour cette tâche devront affronter le froid glacial des hivers 1888 et 1889, ainsi que l’été 1888 où le thermomètre est monté jusqu’à 40 degrés.

L’arrière-arrière-petit-fils de Gustave Eiffel, Savin Yeatman-Eiffel, invite l’assemblée à se replonger dans l’époque de la construction. À la fin du XIXe siècle, l’ingénieur ne pouvait guère compter sur autre chose que la force de travail de ses ouvriers, même si les machines à vapeur ont pu lui venir en aide dans certaines situations. Les pièces, montées au fur et à mesure des mois, pesaient environ trois tonnes. L’assemblage aérien pouvait durer jusqu’à quatre heures d’affilée. Des blessés, il y en aura en haut de la tour, même si, officiellement, aucun mort n’est à déplorer. Sauf cet ouvrier italien, Angelo Scagliotti, qui a chuté en dehors des heures de travail et dont la veuve fut discrètement indemnisée par Gustave Eiffel, selon le site du monument.

Mon arrière-grand-père n’aurait jamais imaginé l’honneur que vous lui faites

Elisabeth Morisson-Provini, arrière-petite-fille de Pietro Provini, l’un des ouvriers de la Tour Eiffel

Les travailleurs d’Eiffel n’ont pas accepté les conditions de travail périlleuses sans broncher. Une première grève éclate en septembre 1888, les contestataires réclamant une augmentation salariale. Eiffel accède à leur revendication. Mais deux mois plus tard, en décembre, ces «voltigeurs» se rebiffent à nouveau. Cette fois, l’ingénieur ne cède pas mais promet une gratification de 100 francs pour tout ouvrier qui finirait la construction. «Gustave Eiffel était-il un patron social ?», interroge Karen Taïeb, dont c’est le tour de discourir. L’adjointe socialiste rappelle alors la mise en place de cantines au 1er, d’abord, puis au 2e étage de la tour: «On y servait des repas chauds, mais le vin et la bière y étaient interdits.»

L’arrière-petite-fille d’une des ouvrières célèbres, Elisabeth Morisson-Provini, s’avance à son tour vers le lutrin. Son arrière-grand-père était un immigré italien, Pietro Provini, arrivé en France à l’âge de 15 ans. Lorsqu’il se lance dans ce projet futuriste, il côtoie des dizaines d’ouvriers qui parlent peu ou pas le français. Provini raconta son histoire à ses descendants, heureux d’avoir contribué à la grandeur du pays qui l’avait accueilli. «Mon arrière-grand-père n’aurait jamais imaginé l’honneur que vous lui faites», déclare Élisabeth, émue. Sa mère, Maria Luisa, la rejoint, non sans difficulté, sur l’estrade de fortune. « Merci à la France qui nous a accueillis ! » («Merci à la France qui nous a accueillis»), lance-t-elle, des trémolos dans la voix.

Dix ans d’attente

La nouvelle dénomination a été votée en juillet 2011 par le Conseil de Paris, sur proposition de Karen Taïeb, à l’époque simple conseillère municipale. Entre le choix du lieu, les formalités administratives et la pandémie de Covid-19, il aura fallu dix ans pour que l’appellation soit enfin attribuée. L’adjointe en est fière. «J’ai eu cette idée en lisant une bande dessinée sur la construction de la Tour Eiffel. Je me suis demandé: « Comment n’avons-nous pas rendu hommage à ces hommes ? »», s’exclame-t-elle au Figaro. «Cette tour n’aurait jamais pu voir le jour sans eux. Ils étaient indispensables et je suis sûre que Gustave Eiffel pensait la même chose.» On lui fait remarquer que peu de Parisiens auront l’occasion de venir admirer la nouvelle place, étant donné les difficultés pour accéder au monument depuis la mise de la palissade pare-balles. Elle le reconnaît mais «espère que l’on dira, lors des feux d’artifice du 14 juillet, « en direct depuis l’Esplanade des ouvriers de la Tour Eiffel »».

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