Le Mu.ZEE d’Ostende censuré par Facebook en raison d’une photo de sculptures du siècle dernier


Le réseau social a suspendu le compte du musée d’art moderne belge pendant une quinzaine de jours avant de corriger son excès de zèle. Le tout sans la moindre explication.

L’éternelle histoire recommence. Qui se fût avisé qu’après la photographie de La petite fille au napalm ou qu’après les toiles L’Origine du monde et La Liberté guidant le peuple , pour ne citer qu’elles, Facebook agirait une fois de plus à l’encontre de ses propres principes de modération ? Le réseau social américain, qui avait assuré par le passé qu’il ne censurerait plus les images d’art – sculptures comprises – ou d’œuvres à caractère historique ou pédagogique a pourtant fait peu de cas d’une photographie du siècle passé montrant un artiste aux côtés de deux sculptures de nus féminins.

Le coupable, cette fois-ci, n’est ni Rubens, ni les façonneurs anonymes de la Vénus paléolithique de Willendorf, mais le peintre et sculpteur belge Constant Permeke (1886-1952). Le 16 juillet, le Mu.ZEE d’Ostende publie sur sa page Facebook une photographie en noir et blanc, datée de 1938, où l’on aperçoit l’artiste dans son atelier de Jabbeke, entre Bruges et Ostende. Cigarette à la main et sabots aux pieds, l’expressionniste flamand se tient entre deux créations : une paire de monumentales statues de femmes en tenue d’Eve, à la silhouette longiligne et au bras droit posé sur la hanche. Détruites, depuis, par Constant Permeke, ces figures ne survivent plus qu’à travers quelques documents d’époque, dont cette photographie d’archive.

La photographie incriminée par Facebook. Constant Permeke s’y tient en 1938 entre deux sculptures de sa création, dans son atelier de Jabbeke, en Belgique. Mu.ZEE

C’en était trop pour l’algorithme du géant californien qui n’a pas tardé à suspendre la publication du musée belge puis l’ensemble de sa page Facebook aux 16.000 abonnés, sans autre forme de procès. Une catastrophe pour le Mu.ZEE qui, rouvert cet été après cinq mois de rénovations, comptait beaucoup sur le poids lourd des réseaux sociaux afin d’accompagner sa saison touristique, toujours très animée en cette période. 18 jours après, ce n’est qu’au lendemain de la diffusion de l’histoire par la presse belge de cette nouvelle affaire de mœurs numérique que le musée d’Ostende a retrouvé, mardi, l’usage de sa page Facebook ainsi que sa publication décidément sulfureuse sur Constant Permeke. Un dénouement heureux, quoique «très surprenant». «Après 18 jours, notre page Facebook a été rééditée ce matin sans aucune explication», a confirmé pour Le Figaro la responsable de la communication du musée. Ni la cause de cette censure, ni la raison de sa levée n’ont été accompagnées du moindre mot à l’attention du musée. La superpuissance numérique est de peu de mots.

«La censure culturelle de Facebook»

En dépit de la conclusion de cette histoire d’archive indécente, le Mu.ZEE maintient que «la censure culturelle de Facebook rend le travail des musées ardu», pour reprendre les mots du communiqué publié lundi par l’institution. Une préoccupation d’autant plus compréhensible que les réseaux sociaux forment une pierre angulaire de la communication, et pas seulement celle des lieux de culture. «Nous essayons de voir si nous pouvons nous entretenir avec Facebook, parce que nous ne sommes pas les seuls à avoir ce genre de problèmes», a précisé le musée. En 2018, plusieurs acteurs belges du monde de l’art avaient collectivement protesté contre la politique de censure automatique de Facebook à l’invitation de la Maison de Rubens à Anvers, dont les publications finissaient régulièrement à l’index de l’ogre social américain. «Indécent. C’est ainsi que sont considérés les seins, les fesses et les chérubins de Peter Paul Rubens. Pas par nous, mais par vous», s’exaspérait déjà la lettre ouverte diffusée en Belgique il y a trois ans.

Si la plateforme se défend de censurer les œuvres d’art comportant de la nudité, ses algorithmes peinent toujours autant, et avec une assiduité qu’on pourrait qualifier d’exemplaire, à distinguer les œuvres d’art et autres documents historiques des véritables contenus susceptibles d’être supprimés en vertu du règlement de la plateforme. «Sculpte, lime, cisèle», écrivait Théophile Gautier de l’art de créer. Dans l’art de biffer et de retrancher, Facebook est assurément passé maître.

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