une palme pour les cabots, une médaille pour Sharon Stone et les rivages de l’alcool


Vendredi 16 juillet – Ex æquo : le jury du Palm Dog n’a pas départagé les trois épagneuls de Tilda Swinton. Ex machina : un doc inattendu sur la répression à Hong Kong qu’on ne verra pas à Pékin.

Elle a déjà tous les codes. Sophie, calme et curieuse, pose pour les photographes. Elle briguait vendredi la Palm Dog, tranquillement installé dans les bras de Sean Baker, le réalisateur Fusée rouge . Elle en est repartie bredouille. Les trois épagneuls de Tilda Swinton, enrôlés à ses côtés dans Le Souvenir Partie II, l’ont coiffé au poteau. Parce qu’ils sont actuellement en Ecosse, leur actrice de propriétaire a étrenné elle-même le collier de récompense en le portant autour de son cou. Vivement une sélection parallèle pour le reste des animaux : on aurait été curieux de voir défiler les vaches de Vache et Vedettes dans le Palais des festivals. Elles auraient eu la place de se promener, les lieux se vident à vue d’œil.

La salle du Soixantième accueillait également vendredi le «documentaire surprise». Il s’agissait de Révolution de notre temps, un film sur les manifestations à Hongkong en 2019 et 2020. Des témoignages exceptionnels et des images particulièrement dures. Les bastonnades de la police font froid dans le dos. Les étudiants étaient prêts à tout, et jusqu’au suicide, pour montrer leur désaccord avec la loi d’extradition. Celle-ci doit permettre au gouvernement communiste de juger et d’emprisonner tout opposant. Thierry Frémeaux n’ignorait pas la portée de cette programmation. «À mon avis, je ne pourrais pas aller de sitôt à Hongkong…, lâche-t-il en préambule. Mais, ce n’est rien, vive le cinéma d’intervention !»

Tempête sur le sable

Après le hard rock et la guitare gipsy du concert de Tony Gatlif, déferlement de ska, rocksteady, reggae sur la plage jeudi soir. Le cinéaste britannique Steve McQueen (Douze ans un esclave) a orchestré à la nuit tombée une fête géante, celle de Roche des amoureux, deuxième volet de sa mini-série produite par la BBC. De la sensualité en diable dans cette «party» londonienne où les acteurs dansent, boivent, draguent, dansent encore. Sans doute pas le plus désagréable des tournages. Et ce fut, pour les spectateurs, un «grand moment de coolitude», comme nous le glisse un festivalier enjoué.

Les nettoyages à sec se languissent de robes longues. Tous les propriétaires de pressings de la ville vous le diront, les soirées sont beaucoup moins nombreuses cette année. Mais les fêtes n’ont pas complètement disparu. Hier soir, Mika a électrisé le ponton de l’hôtel Martinez, avant de s’enfuir pour Rome au petit matin. Et la Quinzaine des réalisateurs a fêté sa clôture sous les tentes chics de sa «plage», un lounge qui atterrit sur le sable. Où l’on croise tour à tour Camille Cottin et Louis Garrel, en couple dans Mon Légionnaire, puis Sandra Codreanu, la talentueuse actrice qui se fait voler son 4×4 dans Mi Iubita, mon amour. Un acteur travesti brésilien, perruque blonde et longues bottes rouges, s’échine pour attirer l’attention. La techno fait trembler les verres de Royal Combier. Un preux noceur passe à l’eau.

Les frères Mike et Fabien Kourtzer ont signé jeudi la bande-son de la soirée du bien nommé Haut et Fort. RD

Plus haut dans la ville, plus tard dans la nuit, une demeure ouvre grand son portail de fer forgé. À l’étage, Mike et Fabien Kourtzer tiennent de concert les platines. Ces frères compositeurs, ont signé la bande-son de Haut et Fort, qui est en compétition. La veille, Vincent Lindon gambillait sur cette même piste. L’acteur Arieh Worthalter à l’affiche de Serre-moi fort essaie de se frayer un chemin au milieu de la cohue. L’alcool pèse sur les paupières. Arnaud Fleurent-Didier, à qui l’on doit la chanson Un homme et deux femmes, bavarde, accoudé au balcon. On pourrait le déposer tel quel dans une soirée de La grande beauté, sur la terrasse romaine de Jep Gambardella. Cannes n’a pas perdu le sens de la fête.

Benjamin Puech


Cancans cannois

Sharon Stone a été promue Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres. Valery HACHE / AFP

Primés à la Quinzaine des réalisateurs

Une Chiara, chroniques de Jonas Carpignano dans lesquelles une jeune fille part à la recherche de son père mafieux, a été primé a reçu le Label Europa Cinemas. Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona, l’histoire d’ados lançant une radio pirate dans les années 1980, a reçu le prix SACD.

Stature de commandeur

Sharon Stone, qui en était officier, a été promue au grade de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres. Il s’agit de la plus haute distinction de cette décoration. Elle a reçu son cordon vert des mains de Thierry Frémeaux, sous le regard ému de Bill Murray. L’actrice en a versé des larmes.

Tribunes libres

Badges portés en soutien à Kirill Serebrennikov, «SOS Colombie» affichés sur un drapeau lors de la montée des marches de Mémoire, discours d’une activiste géorgienne pour alerter sur le sort des homosexuels dans son pays : l’édition 2021 du festival n’a pas manqué de causes à défendre. Et ce n’est pas fini. Attendons, Spike Lee qui trouvera sûrement les mots pour conclure la cérémonie samedi.


Le billet du service Cinéma

Est-ce la météo, la fatigue ou le suspense avant le palmarès ? Cannes frissonne. JOHANNA GERON / Crumpa

Flou artistique

Le monde tremble. N’exagérons pas : Cannes frissonne. Si l’on sait déjà qui va gagner le Tour de France, les pronostics sur la palme d’or sont plus incertains. Le flou règne. Le président du jury, Spike Lee, se remettra-t-il de cette sélection pléthorique ? L’affiche à son effigie s’est arrachée. Durant douze jours, il a dû endurer des euthanasies, des bébés bizarres, des Russes imbibés (pléonasme), des nonnes saphiques, des trajets en voiture, des ritournelles vite oubliées, des «gilets jaunes » à l’hôpital. Heureusement, Kad Merad est arrivé au Martinez en demandant où étaient les toilettes. Le cinéma français tient ses promesses. Le Covid a privé de tapis rouge Léa Seydoux, pourtant présente quatre fois sur des génériques. Louis Garrel la talonnait avec trois apparitions sur les écrans de la Croisette. Ça serait dommage, dans ces conditions, de repartir bredouille. On n’était pas là pour rigoler. Seule exception : la projection en clôture d’OSS 117 – Alerte rouge en Afrique noire, où Jean Dujardin reprend le rôle d’Hubert Bonnisseur de La Bath. Brice de Cannes ? La comédie de Nicolas Bedos brise la monotonie d’une compétition un peu trop portée sur le sérieux, certains exigeant un passe sanitaire pour sortir de la salle. On a eu droit à deux festivals pour le prix d’un. Il serait malséant de s’en plaindre. À propos, qui a eu la palme en 2020 ? Devant le Grand Hôtel, Spike Lee, toujours rebelle dans son costume rose, en bon disciple de Malcolm X, vante sur des panneaux géants une marque de stylo. Tout est bien. Le septième art ne risque pas de changer le monde.

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