Les contacts entre Néandertaliens, Dénisoviens et Homo sapiens émaillés d’échanges culturels ?


Selon un chercheur britannique, le brassage entre plusieurs espèces humaines au début du Paléolithique supérieur pourrait avoir été un moment d’ébullition culturelle et créative unique dans l’histoire humaine.

La rencontre préhistorique entre l’Homme de Néandertal et Homo sapiens n’a pas produit qu’une floraison de bébés. Cette brève période d’une quinzaine de milliers d’années, autour de 60.000 à 40.000 ans avant notre ère, pourrait bien avoir été une bouillonnante époque d’échanges culturels. Favorisée par la cohabitation de plusieurs espèces du genre Homo, la circulation des idées et des pratiques créatives ne se serait pas seulement cantonnée aux peintures rupestres – dont l’on concède aujourd’hui la primeur aux Néandertaliens – mais toucherait l’ensemble de la culture matérielle du Paléolithique supérieur.

«Cette période était une véritable “Terre du Milieu” par la diversité formelle de la famille humaine qui existait à l’époque», a déclaré l’archéologue Tom Higham, qui soutient l’idée d’une révolution culturelle paléolithique partagée par plusieurs espèces humaines. Professeur à l’université d’Oxford et spécialiste des relations nouées entre les Néandertaliens et Homo sapiens pendant le Paléolithique, le chercheur estime qu’il faut comprendre le foisonnement archéologique incroyable de cette même période à la lueur de la coexistence de plusieurs espèces humaines.

«Nous avons toujours pensé que les origines de l’art et de la pensée cognitive complexe étaient notre marque de fabrique, a expliqué le chercheur britannique dans un entretien accordé au Guardian . Mais aujourd’hui nous voyons bien que ce n’était pas l’unique apanage des humains modernes.» En s’appuyant sur les réévaluations récentes de l’art pariétal néandertalien ainsi que sur la découverte de mobilier ornemental – dents perforées, pendentifs en coquillage, os décorés, art figuratif sculpté -, Tom Higham est convaincu que les différents groupes humains de l’époque ont pu et dû apprendre les uns des autres. «Si nos groupes se sont métissés, il se peut que des transferts culturels – échange d’idées, de pensées et de langues – aient également eu lieu. Les humains sont très doués pour adopter de nouvelles idées», déclare-t-il à nos confrères britanniques.

Des échanges génétiques et culturels

En dehors des sources néandertaliennes, d’autres indices archéologiques permettent également de faire entrer l’Homme de Denisova dans le grand concert de l’Europe paléolithique. La découverte en 2010 d’une grotte dénisovienne avait ainsi permis d’attribuer à notre lointain cousin le mobilier ornemental trouvé sur place, comme des anneaux et des perles faites en os de mammouth. Des objets qui, il y a encore quelques dizaines d’années, n’auraient été attribués qu’à Homo sapiens. Là encore, et à l’image de nos contacts avec les Néandertaliens, ces échanges culturels avec l’Homme de Denisova se sont accompagnés de contacts plus intimes dont nous avons gardé des traces génétiques. «Selon leur situation géographique, les humains actuels ont une plus ou moins grande quantité d’ADN dénisovien», a rappelé Tom Higham, qui avait participé à la découverte sibérienne.

Différents ornements dénisoviens fabriqués à partir de défenses de mammouths provenant de la grotte de Denisova en Sibérie. Siberian-Russian Academy of Sciences

Pour l’archéologue britannique, c’est désormais chose acquise : Homo sapiens n’est pas le seul humain à avoir produit du mobilier ornemental vers le début du Paléolithique supérieur. «Du début des années -50 000, jusqu’à il y a environ 38 000 à 40 000 ans, on constate une augmentation nette et inédite de la quantité de ce genre d’objets produits» a constaté le chercheur, pour qui les marqueurs d’un comportement humain moderne en Europe précèdent l’arrivée d’Homo sapiens. Et bien que l’Homme de Néandertal semble avoir précédé son jeune cousin dans la peinture rupestre, Tom Higham suggère que la création d’objets d’art mobiliers serait une œuvre commune. «S’il y a eu une transmission culturelle, elle s’est probablement produite dans les deux sens», a-t-il fait savoir.

Si la piste d’un brassage culturel qui aurait eu lieu il y a environ 50.000 ans entre les différents groupes humains, fait son chemin, il reste difficile compte tenu de la rareté des vestiges de cette époque de mieux en appréhender les contours exacts. Quelle place, par exemple, faut-il accorder dans cette révolution du paléolithique supérieur, aux autres espèces humaines de l’époque, qu’il s’agisse de l’Homme de Florès ou de l’Homo luzonensis ? Au milieu des incertitudes et des débats scientifiques touchant à la définition exacte d’un «comportement moderne», une nécessité paraît émerger aux yeux de Tom Higham : cesser, pour cette période, d’attribuer automatiquement chaque objet ouvragé, chaque peinture rupestre et chaque mobilier d’art à Homo sapiens. Pour nos ancêtres, le monopole de l’art aura quand même fait long feu.

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