Jean-François, son demi-frère, raconte Alain «l’ovni»


Le cadet de onze ans du Samouraï, homme de cinéma lui aussi, se confie dans les colonnes du magazine Schnock sur l’enfance, l’adolescence et la carrière de son aîné. Une parole rare, qui éclaire la personnalité et les souffrances de la légende du cinéma.

Il y a Alain Delon…et Jean-François, le petit frère admiratif, qui a côtoyé l’acteur sans jamais réussir à le saisir. «C’est un ovni !», confesse cet inconnu du grand public, pourtant si présent dans la carrière d’Alain. «Titi», comme se plaisait à l’appeler Delon, s’est confié à la revue Schnock (numéro 37) en évoquant notamment leurs rapports intimes et professionnels.

«Alain Delon est à la fois famille, et en même temps, il ne l’est pas du tout». Un constat qui résume les relations de la fratrie, dont Jean-François est le cadet de onze ans. «Il vivait entre Bourg-la-Reine chez sa mère et L’Haÿ-les-Roses, chez son père (également père de Jean-François, NDLR)… À l’âge où j’aurais vraiment pu avoir une relation proche avec lui, il était en Indochine».

Placé à quatre ans chez un couple à Fresnes à la séparation de ses parents, il errera ensuite de pensionnats en pensionnats. Delon est «renvoyé de quatre ou cinq établissements », avant de s’engager dans l’armée et d’être envoyé au front. «Il avait le goût de la castagne. Ce n’était pas un gai luron, mais plutôt un jeune chien fou».

La fuite du bonheur

Un homme inapte au bonheur. Qui, comme dans la chanson, le fuit de peur qu’il ne se sauve. «Il estime avoir été laissé pour compte (…) mais il ne donnera jamais l’occasion d’en parler. C’est tabou», reconnaît Jean-François Delon, évoquant au passage «les larmes de la petite enfance» dont parle Pascal Jardin, auteur si souvent cité par son aîné.

Le conflit indochinois achève de couper les ponts entre lui et ses proches, Delon gardant une profonde rancune vis-à-vis de ses parents, qu’il accuse de l’avoir «envoyé à la guerre».

Jean-François Delon évoque ce grand frère blessé à son retour d’Indochine: «Quand il est revenu, c’était une tête brûlée. Il ne voulait plus voir ses parents dont il avait gardé un mauvais souvenir. Il a alors fréquenté Pigalle, les putes, les truands. […] Un jour de 1957, nous marchions dans la rue avec mon père et on voit l’affiche d’un film Quand la femme s’en mêle. Et en bas de celle-ci, le nom d’Alain Delon. C’est comme ça qu’on a appris qu’il était acteur !»

Une coïncidence qui permet aux deux frères de se retrouver, un soir de 1961, alors que Jean-François se rend au théâtre voir Dommage qu’elle soit une putain. La mise en scène est de Luchino Visconti. Romy Schneider et Alain Delon partagent l’affiche. Après la pièce, le cadet se faufile dans la loge de son aîné. Il est intimidé, se prend même à vouvoyer l’acteur. De timides retrouvailles, qui débouchent sur une longue collaboration.
C’est le «métier» qui les rapprochera, Alain faisant travailler de temps à autre Jean-François sur ses films. Bunuel, Deray, Melville, Delon lui-même, l’embauchent en tant que stagiaire, puis comme assistant réalisateur. Des coups de pouce, sans que ceux-ci se transforment jamais en passe-droit : «Sur Madly, Delon voulait que je sois premier assistant. Comme je n’avais pas encore assez d’expérience, Pierre Caro, le directeur de production d’Adel Productions, a préféré que ce soit le frère de René Clément, Claude. Je n’ai donc été que deuxième.»

« Il est animal, il sent. Il a des capacités exceptionnelles et en même temps des défauts immenses »

Jean-François Delon à propos d’Alain Delon dans la revue Schnock

Sur le plateau comme dans la vie, Delon est distant sans être indifférent. Il traite son frère comme n’importe qui d’autre, c’est-à-dire avec une grande considération professionnelle et une profonde pudeur : «Parfois, j’aurais eu envie de lui rentrer dedans […]. Je regrette qu’il n’y ait pas eu plus de proximité, mais il est comme ça avec tout le monde. Il est animal, il sent. Il a des capacités exceptionnelles et en même temps des défauts immenses. Tout et son contraire. […] C’est le mec le plus imprévisible que je connaisse.»

Schnock, n°37, «Il vous en prie» , Alain Delon, La Tengo éditions, 176 p., 15,50€

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