«Many Saints Of Newark pose la tragédie grecque des Soprano»


ENTRETIEN – L’acteur américain porte le film prequel de la série culte, encore en salle, dans lequel David Chase examine la figure de celui qui fut le père de substitution de Tony Soprano, l’oncle Dickie.

Près de deux décennies après sa conclusion sur HBO, Les Soprano reste toujours au sommet des classements des meilleures séries de tous les temps. Une postérité et un héritage lourd à porter que David Chase rouvre avec un long-métrage Many Saints of Newark: une histoire des Soprano.

Film de gangster, violent, âpre, à l’ancienne sans la moindre séance et pause chez le psy, il n’épargne rien au spectateur. Tensions raciales, fusillades nocturnes, meurtres pulsionnels, la grande famille de la mafia italienne de Newark apparaît comme une bande de truands assoiffée d’argent, le tout observé par le jeune Tony, joué par Michael le fils de son interprète originel James Gandolfini. Personnage secondaire de ce récit de péché originel, le jeune Tony cède sa place d’antihéros tourmenté à son oncle Dickie Moltisanti, campé par le charismatique Alessandro Nivola. Le Figaro a évoqué cette genèse avec le comédien américain de 49 ans, vu dans Bluff américain et Désobéissance.

Crumpa – Etiez-vous un fan des Soprano avant de signer pour jouer dans Beaucoup de saints de Newark ?

Alessandro Nivola. Je ne suis pas un grand consommateur de télévision. Je connaissais de nom Les Soprano. J’ai dû regarder quelques épisodes, mais je n’avais jamais vu l’intégrale de ses six saisons. Ce que j’ai immédiatement fait lorsque j’ai appris que j’avais été retenu dans le rôle de Dickie Moltisanti. Quand j’ai débuté dans ce métier, c’était un aveu de défaite de travailler pour le petit écran. Avec Les Soprano, David Chase a révolutionné la manière d’écrire et de concevoir les séries. Il a fait comprendre que la télévision n’était pas le parent pauvre de la fiction et qu’elle savait se hisser au même niveau, voire au-dessus du 7e art, en matière de narration et de développement des personnages.

Préquel de la série, De nombreux saints de Newark se concentre moins sur la jeunesse du héros de la série Tony Soprano que sur son mentor et oncle. Une approche qui a parfois surpris les exégètes de la série…

J’ai beaucoup aimé donner chair à un personnage évoqué dans la mythologie de la série mais dont l’ombre, même si on ne le voyait pas à l’écran, pesait tout autant. J’ai pu inventer en toute liberté Dickie. Car ce qu’on dit de lui dans Les Soprano reste des récits de seconde main, des souvenirs, dont la fiabilité peut porter à caution. Tony ou son fils Chris disent-ils la vérité sur Dickie ? Savaient-ils qui il était réellement? Pour moi, il est le parfait exemple d’un héros né dans le mauvais milieu. S’il avait vu le jour dans une autre famille, il aurait pu échapper à son destin de mafieux. Dickie rappelle que l’on peut être capable de la plus grande tendresse et violence. Un des fils rouges de ce film est de montrer comment votre éducation, votre entourage vous façonne, telle une tragédie grecque dont on ne peut s’échapper. La violence des pères dicte celle des fils. Battu par le sien, Dickie connaît des accès de rage intense. Même si son instinct lui susurre de commettre un acte noble, il est sans cesse ramené dans la fange et est horrifié par le cortège de délits commis. Il n’est pas non plus armé pour sauver Tony Soprano de ce destin. À la fin, il attend vraiment l’ultime châtiment.

« Malgré mes origines italiennes, je n’avais jamais joué de personnage les partageant. »

Alexandre Nivola

Comment vous êtes-vous préparé pour entrer dans la peau de cet homme en éruption ?

J’ai eu plus de temps que sur mes précédents projets ce qui a été un luxe. Parfois, la période de recherche est même plus agréable que le tournage en lui-même. J’ai lu beaucoup de livres, dont l’essai à succès Honore ton père, publié en 1971 par le journaliste du New York Times Guy Talese. Il retraçait le quotidien compliqué du clan de gangsters new yorkais du clan Bonnano, une des cinq familles de la pègre qui contrôlait la ville à ce moment-là. L’ouvrage m’a été très utile car il est axé sur la relation père-fils entre Joseph et Salvatore Bonnano. Un bon exemple de ce qui se joue entre Dickie et son père, Dickie et son fils adoptif Tony. Un autre récit de référence a été les mémoires du fils du gangster Roy Demeo. J’ai aussi pu compter sur l’un de mes amis qui est prêtre catholique à Newark où il a grandi. Il m’a fait faire la tournée des pâtisseries, boucheries et églises. Il m’a montré les vitraux financés à l’époque par la mafia. Dans les restaurants, nous avons croisé des habitants qui se souvenaient de cette époque et nous ont fait des imitations des parrains d’alors. C’était une porte inouïe sur ce monde. Malgré mes origines italiennes, je n’avais jamais joué de personnage les partageant. Cela m’a replongé dans l’histoire de mon grand-père sarde. Sculpteur, il a émigré aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale et y a rencontré ma grand-mère juive allemande qui était réfugiée. Il menait à Greenwhich Village une vie de bohème, fréquentait le père de Robert de Niro, qui était peintre.

Portrait d’une famille brutale et dysfonctionnelle, Beaucoup de Saint de Newark capture aussi un moment particulier dans l’histoire des États-Unis.

Revenir sur les émeutes raciales de 1967 sort le film du strict cadre mafieux. Il était important pour David Chase de prendre le temps, cette fois, d’évoquer la cohabitation entre la communauté italienne et afro-américaine sans chercher à édulcorer le racisme et le climat de tension qui régnaient lorsque ces familles noires se sont installées dans les logements sociaux de Newark. Nous avons tourné De nombreux saints de Newark avant le meurtre de George Floyd par des policiers. Le parallèle entre les Sixties et aujourd’hui nous a interpellés.

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