la folie dépensière illimitée du poète


WEBSÉRIE 3/9 – Le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel au poète maudit. Insouciant du lendemain, incapable de ne pas dilapider son argent, Charles est placé sous conseil judiciaire.

Depuis sa majorité, Baudelaire a hérité de la fortune laissée par son père. Enfin libre de vivre à sa guise, il a commencé par s’installer sur l’île Saint-Louis, puis rue Vaneau, avant de revenir quai d’Anjou et finir par louer un appartement au troisième étage de l’hôtel Pimodan. Il fait tapisser la pièce principale d’un précieux papier glacé rouge et noir pour y donner des dîners raffinés servis par un domestique. Sans cesse, il change de mobilier, achète des tableaux, des gravures, des livres qu’il fait somptueusement relier, se ruine en chemises, gants, costumes, noirs la plupart du temps, qu’il agrémente de foulards. En soie.

Sa folie dépensière ne connaît plus de limites. Les créances s’accumulent surtout auprès du propriétaire de l’hôtel Pimodan et du brocanteur qui y tient boutique. Sa maîtresse, Jeanne Duval, qui joue les utilités au Théâtre de la Porte-Saint-Antoine quand elle ne tapine pas, lui coûte aussi beaucoup d’argent car il l’a installée non loin de son domicile. Jeanne le trompe. Il enrage, mais poursuit cette liaison fiévreuse avec sa mulâtresse qui lui inspire bien des vers et qui déplaît tant à sa famille.
Insouciant du lendemain, il mène la vie de bohème des jeunes littérateurs parisiens qui se réunissent dans les cafés, les tavernes, les cabarets pour y tenir des discussions sans fin, lire leur prose ou des sonnets, boire du vin blanc, jouer au billard, fumer des cigares et médire de la direction des revues auxquelles ils collaborent. Occasionnellement.

Lorsque Baudelaire, pris à la gorge, hypothèque pour la deuxième fois quatre terrains à Neuilly avant de les vendre, l’orage se lève. Conscient que sa mère pourrait le placer sous conseil judiciaire, Charles prend les devants et signe une procuration qui institue Caroline Aupick et le notaire de Neuilly, Narcisse Ancelle, administrateurs de ses biens. Il pense avoir paré au danger, mais très vite il recommence à signer des lettres de change. La famille se réunit. Son frère Alphonse n’est pas le moins déterminé à faire cesser ce scandale.

Le 21 septembre 1844, Narcisse Ancelle devient son conseil judiciaire. Il place ce qui reste de fortune à Charles, qui ne recevra plus que 200 francs par mois, une somme que le notaire estime suffisante pour un jeune célibataire. Fureur, rage, de Charles Baudelaire. Contre son frère, contre le général Aupick, contre sa mère surtout. Il l’a toujours aimée. Elle vient de le trahir. Mais il ne dit mot à ses amis du désastre qui le frappe. Avec eux, il va continuer à collaborer à des journaux satiriques comme Le Corsaire, fréquenter théâtres et expositions, publier anonymement ou sous pseudonyme des poèmes, ainsi que quelques facéties. Mais quand ses amis Le Vavasseur et Prarond le poussent à participer à un ouvrage collectif, Baudelaire se dérobe. Sans doute parce qu’il médite déjà une édition personnelle de ses vers. Il ne cesse de les ciseler, de les polir, de les sculpter.

Il caresse également le projet d’écrire un drame, Idoléus, et un essai sur les peintres espagnols. Presque tous les jours, Baudelaire se rend au Louvre pour contempler les peintures flamandes, italiennes et françaises, mais surtout la toute nouvelle galerie d’artistes ibériques. Murillo, Zurbarán, Ribera le fascinent avec leur “ férocité bizarre », le Greco et Goya le transportent. Parce que le « culte des images » fut sa première passion (il en a hérité de son père), il décide de rendre compte du Salon de 1845. Le texte de Baudelaire paraît le 10 mai. Il s’y montre tranchant, rigoureux, célébrant Delacroix et éreintant avec férocité Horace Vernet. Malgré des articles flatteurs dans la presse, sa brochure se vend mal. Charles en est affecté. Tout soudain lui pèse. Le lasse. Le désespère.

Le 30 juin 1845, il adresse une lettre à son conseil judiciaire – « Je me tue – sans chagrin. (…) Je me tue parce que je ne puis plus vivre » – avant de se donner un coup de couteau dans la poitrine. La blessure n’est guère profonde. Il est soigné par Jeanne, puis poursuit sa convalescence au domicile des Aupick. Fatalement, son beau-père entend lui imposer sa « règle » et le somme de reprendre ses études. Baudelaire s’inscrit à l’Ecole des chartes, mais ne la fréquentera pas plus que jadis la faculté de droit. Entre deux querelles avec le général, il finit par quitter la place Vendôme laissant une lettre à sa mère dans laquelle il affirme qu’il accepte désormais l’idée de « vivre durement ».

Couverture du Figaro Hors-Série Baudelaire Étienne Carjat, 1861, paris BNF

Sur Figaro Store, Le Figaro Hors-Série Baudelaire, le spleen de la modernité, 12,90€

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