Le Conseil des Ventes répond à la polémique sur les ventes d’objets précolombiens


Le ton est monté d’un cran du côté du Mexique qui a demandé l’annulation des ventes Artcurial et Christie’s. Une requête illégitime qui porte préjudice au marché, selon Henri Paul, président du Conseil des Ventes.

C’est toujours le même scénario à l’annonce de la mise aux enchères de biens archéologiques précolombiens, désignation générale des civilisations qui ont rayonné sur le territoire du Mexique actuel avant l’arrivée des Espagnols au XVIe siècle. Et le ton monte d’un cran à chaque nouvelle vente systématiquement perturbée par les revendications de certains États réclamant le retour manu militari des œuvres dans leurs pays d’origine. Parmi les plus virulents figurent le Guatemala et le Mexique qui ne ménagent pas leurs actions pour exiger des maisons de ventes la restitution de pièces, au seul motif qu’elles appartiendraient à leur patrimoine, sans autre argumentation.

Il en a été ainsi pour la vente De Baecque et associés le 12 février dernier ou de Binoche et Giquello, le 29 juin Et tout récemment celle d’Artcurial, le 2 novembre et de Christie’s, le 10 novembre prochain, pour lesquelles l’ambassade du Mexique en France a demandé l’annulation. Pour ne pas faire de vague, Christie’s se refuse d’ailleurs à communiquer et envoyer toutes photos à la presse. C’est dire le malaise qui règne autour de ce secteur du marché, tout aussi controversé que celui des poupées Kachina des Indiens Hopi, dont les ventes à Drouot ont souvent fait l’objet de référés pour obtenir leur suspension ou leur mise en séquestre. Ils sont demeurés sans suite..

«Ces pièces historiques ne sont pas des articles de luxe, des objets pour décorer une maison, pour un collectionneur. Le patrimoine ne se vend pas», a affirmé la ministre de la Culture, Alejandra Fraustola, dans un communiqué à l’AFP, du 4 novembre. Un cri d’appel plus virulent que d’habitude pour tenter l’annulation des ventes Artcurial et Christie’s, alors que celles-ci attestent de la légitimité des objets proposés. «Le patrimoine culturel est devenu un objet de commerce alors qu’il représente l’identité des peuples. D’après la loi mexicaine, toute pièce du patrimoine national qui se trouve loin du pays (…) provient d’un trafic illicite», renchérit la ministre.

Ensemble de 5 masques d’art précolombien estimés entre 2000 et 9000 euros. Images de Christie’s limitées

Dans un contexte propice aux restitutions -, à commencer par celle au Bénin des 26 pièces du trésor d’Abomey exposées, avant leur retour, au Musée du Quai Branly -, ce coup de poing du Mexique pourrait faire résonance même s’il risque d’être sans suite. Si elle était saisie, l’autorité judiciaire, pas plus que le Conseil des ventes (autorité de régulation indépendante du marché de l’art français) ne peut intervenir. Et ce d’autant moins que les demandes de restitution ne comprennent pas d’éléments attestant de l’illégalité de la vente de ces biens archéologiques. Las de ce rififi qui porte un sérieux préjudice à ce marché, le président du Conseil de ventes, Henri Paul, sort de sa réserve. Et fait le point sur la situation.

LE FIGARO – Pensez-vous que la colère de la ministre de la Culture du Mexique est légitime et que les objets précolombiens vendus aux enchères doivent retourner dans leur pays d’origine ?

Henri PAUL – Depuis quelque temps, je constate un déferlement de revendications venant de pays d’Amérique du Sud, qui, par voie de courriers officiels, demandent la suspension des ventes d’objets précolombiens sans apporter de justifications précises. Avec cette déclaration de la ministre du Mexique, on a franchi un cran. Ce que veulent ces pays, c’est tout simplement empêcher les transactions en ventes publiques, et geler le marché. C’est illégal et contre-productif.

Pourquoi ?

Le marché des ventes publiques en France est un marché régulé, ouvert, transparent. Les professionnels et les experts sont tenus par une déontologie. Ils doivent vérifier l’identité des propriétaires des œuvres qu’ils vendent, et ne peuvent prêter la main à des trafics,
sauf à encourir de graves sanctions. Si un doute sérieux s’élève, ils sont prêts à envisager toutes les solutions amiables.
Mais ils ne sont soumis qu’à la loi française, pas à celle d’un autre pays. D’après la loi française, il faut apporter la preuve de la possession illégale.

Je comprends bien que le Mexique interdise toute exportation de biens culturels pour éviter des trafics sur son sol. Cela ne l’autorise pas pour autant à considérer que tous les objets précolombiens vendus en France proviennent d’un trafic illicite, comme le dit la Ministre. Au contraire, la régulation du marché des ventes publiques en France est pour les collectionneurs une véritable garantie. À défaut, il resterait à redouter que ne se constitue un marché gris, un marché opaque et souterrain, car les amateurs de ces œuvres ne disparaîtront pas du jour au lendemain.

N’y a-t-il donc aucune solution ?

Le Ministère des Affaires étrangères s’efforce de promouvoir une meilleure compréhension de nos législations respectives, et nous y contribuons. Par ailleurs, les différents services en charge des trafics de biens culturels à l’échelle européenne se coordonnent toujours mieux. La lutte contre ce trafic est clairement une priorité politique, et le Conseil des ventes y adhère. Mais il ne s’agit pas de renoncer en France à ce segment du marché qui est dynamique, même s’il n’est pas très important : le montant total des ventes de biens archéologiques en 2020 s’est élevé à près de 8 millions d’euros. Il peut y avoir restitution, si leur légitimité est prouvée. Pour les Arts Premiers, elles n’ont pas empêché le marché d’exister et de prospérer. En toute bonne entente.

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