À la maison des femmes ou l’asile des destins brisés par la violence


LA CASE BD – Entre témoignages poignants de femmes maltraitées et quotidien de ceux et celles qui contribuent à leur reconstruction, Nicolas Wild a réalisé une BD reportage dont le lecteur ne sort pas indemne.

«Je voulais réaliser un livre sur la maison des femmes en offrant le panorama le plus complet de toute forme de violence exercée sur les femmes», ambitionnait Nicolas Wild pour sa bande dessinée reportage A la maison des femmes. Violences conjugales, familles maltraitantes, excisions, mariages forcés… En près de deux cents pages, l’ouvrage évoque de nombreuses facettes de la brutalité envers les femmes.

Nicolas Wild a passé deux années à interroger médecins, bénévoles et victimes de violence à la maison des femmes de La Plaine Saint-Denis. Basé sur une dizaine de témoignages comprenant victimes et personnel soignant, l’ouvrage, salue ces héroïnes contemporaines luttant pour retrouver leur dignité bafouée, faire en sorte que la vie reprenne le dessus. À la fois édifiant et bouleversant, il plonge, sans voyeurisme, le lecteur dans l’âpre quotidien de Nour, Sophie ou Valentine marqué par la déchéance physique, mentale et sociale que leur impose la tyrannie d’un homme ou de cruelles traditions familiales. Tout en évoquant le chemin de leur reconstruction.

L’auteur explore aussi la réalité de celles et ceux qui au quotidien s’évertuent à les accompagner dans cette démarche. «Au fil de mon reportage, il est arrivé que la maison des femmes accueille entre cinquante et 80 personnes en une journée», souligne Nicolas Wild. Comment allier empathie et distance nécessaire pour rester professionnel? Garder son énergie face aux cas insolubles? Sa présence d’esprit face aux cas les plus extrêmes? Sont autant de questions qui parsèment l’ouvrage. Et avec une probité qui les honore, médecins, personnel soignant ou bénévoles apportent chacun leur solution pour rester efficaces et ne pas sombrer dans le désarroi.

La case BD: décryptage de Nicolas Wild

Sophie prendra-t-elle la main qui lui est tendue ? Nicolas Wild/ Delcourt

«La planche illustre un souvenir de l’une de mes héroïnes, Sophie, en vacances avec son copain quelque part en Amérique du Sud. C’est une scène où ce dernier, dirigiste, lui impose de boire une bière alors qu’elle préfère prendre un verre de vin. Cela génère un scandale et il la frappe en pleine rue. Dans la planche précédente, la mère, présente, ne fait rien. Dans les violences faites aux femmes, les belles-mères ont tendance à être dans le déni pour protéger leur fils, minimisant les faits. La santé de leur belle fille leur importe peu. Ici, elle estime même que Sophie a adopté un comportement farfelu en refusant de suivre les ordres de son fils « Tu es un petit peu folle mais au fond on t’aime bien » lui dira-t-elle dans la planche suivante. L’album m’a permis de mettre en lumière le rôle trouble des mères d’hommes violents.

Le découpage classique, type gaufrier de neuf cases fonctionne bien avec mon système de narration. Comme une partition musicale qui impose un rythme au récit. Deux cases sont essentielles, celle du milieu et la dernière avec un petit cliffhanger, une fin laissée en suspens : Sophie prendra-t-elle la main qui lui est tendue ?

« Pour moi il était important de souligner cette facette plus positive de l’homme afin de montrer que les rapports hommes femmes ne relèvent pas uniquement de la lutte »

Nicolas Sauvage

Le passage piéton de la case du milieu dessiné en filigrane représente le basculement entre deux réalités. Les bandes blanches sur fond noir marquent l’espace des coups. Je les estompe pour montrer le désarroi de Sophie. Elle est sonnée et perdue en pleine rue, la réalité devient floue comme mise entre parenthèses. Cependant, tel un fondu enchaîné au cinéma, ce passage piéton qui disparaît peu à peu laisse voir cette femme. Sur fond blanc, elle apparaît comme un ange, accompagnée d’un homme doux fort éloigné du comportement de son conjoint. Pour moi il était important de souligner cette facette plus positive de l’homme afin de montrer que les rapports hommes femmes ne relèvent pas uniquement de la lutte.

Graphiquement, j’utilise un trait réaliste assez doux et privilégie le noir et blanc. Je l’apprécie particulièrement pour son élégance et sa façon de représenter le réel. De manière générale j’ai favorisé un univers graphique le plus simple et lisible possible me permettant de mettre en avant le propos et la mise en scène. Je souhaite que le lecteur oublie le dessin, une fois dans le récit, pour laisser toute la place au propos, même si parfois j’apprécie de dessiner des planches plus élaborées».

À la maison des femmes, Nicolas Wild, Delcourt encrages, 17,95 euros.

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