Carmen Mola, l’auteur à trois têtes à la conquête de la France


REPORTAGE – Derrière le nom de cette romancière à succès se cachaient en vérité trois hommes scénaristes. Une révélation qui scandalise l’Espagne, mais attire de plus en plus de lecteurs français.

Qui a déjà entendu parler des livres de Carmen Mola ? Dans la grande librairie de Paris, Place de Clichy (Paris 17e), ces romans policiers à succès sont perdus parmi tant d’autres à l’étage, sur une étagère, au fond du magasin… Classés même à la mauvaise lettre. Peut-être un signe du destin pour cette romancière présentée, sur la couverture, comme «une Madrilène de quarante-cinq ans, mère de trois ans» mais qui cherche visiblement à se faire discrète. Et pour cause. Le 15 octobre dernier, le «mystère Carmen Mola» était percé lors de la remise du prestigieux Prix Planeta à Barcelone pour Bête, un thriller historique. Ce n’est pas une femme qui est venue chercher sa récompense littéraire le plus richement dotée du monde (un million d’euros) mais un trio de quinquagénaires : Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Mercero.

«Derrière le nom de Carmen Mola, il n’y a pas, comme dans tous les mensonges que nous avons racontés, une enseignante de lycée, mais trois écrivains, trois scénaristes et trois amis […], qui un jour, il y a quatre ans, ont eu l’idée folle de combiner leurs talents pour écrire une histoire ensemble», a raconté Jorge Díaz. De l’autre côté des Pyrénées, la révélation a suscité un véritable scandale alors que Carmen Mola était considérée comme une des plus grandes romancières de ces dernières années. Une révélation qui a secoué l’Espagne, mais attire la curiosité des lecteurs français.

Christiane, retraitée de 79 ans et grande fan d’Agatha Christie, aime visiblement les mystères. «Je ne connaissais pas du tout cet auteur. Mais je crois en avoir entendu parler de ce canular à la télévision», explique-t-elle Le Crime de L’Orient Express sous le coude, les lunettes bien posées sur le nez. Avant de repartir avec un exemplaire de La Fiancée Gitane par Carmen Mola. «Je ne lis jamais la journée. Mais avant de dormir, je suis sûr que ce livre sera parfait», pressent Christiane.

Trois hommes et un coup fin

Dans la librairie parisienne, les vendeurs ne semblent pas au courant de ce subterfuge et de la véritable identité de Carmen Mola. Stéphanie est même la seule à être capable de nous répondre : «C’est une série de livres qui a beaucoup plus de succès en Espagne. En France, nous n’avons même pas tous ses bouquins », précise-t-elle. De quoi expliquer son rangement un peu incongru. La France, il faut bien le reconnaître, ne sait rien ou presque de la success-story de Mola. Après avoir vendu plus de 400.000 exemplaires sur sa terre natale, elle n’avait vu que deux de ces livres traduits chez nous et publiés chez Actes Sud. Mais aujourd’hui, ces romans à la couverture ensanglantée éveillent un nouvel intérêt selon la spécialiste du rayon noir : « Depuis 10 jours, on en entend beaucoup plus parler, c’est sûr ! »

Trois hommes et un coup fin ? Frédéric, client habituel de cette librairie, semble encore un peu suspicieux à propos de cette histoire : «Leur intention est bizarre.» Avant de se rendre à l’évidence : «Après tout, cela ne m’empêchera en aucun cas de lire le bouquin, si l’histoire est sympa.» Et l’effet Carmen Mola se poursuit jusqu’aux caisses selon la libraire : Cela fait moins plaisir de le vendre après ce scandale, mais les Français l’ont découvert à ce moment-là. Donc on vend plus d’exemplaires tout simplement. »

«Nous ne nous sommes pas cachés derrière une femme, juste derrière un nom», a tenté d’expliquer l’un d’entre eux au moment de la remise du prix Planeta. Un argument pas vraiment au goût des courants féministes espagnols pour qui Carmen Mola était un bel exemple de réussite. La romancière Beatriz Gimeno les a même qualifiés «d’escrocs» sur Twitter. Melissa, gérante de la librairie hispanique Cariño dans le 10e arrondissement de Paris, préfère y voir une vertu : «C’est peut-être le juste retour des choses. Il y a 200 ans, c’était impossible pour une femme de signer de son nom. Aujourd’hui, ce sont des hommes qui prennent le nom de femmes. Le message à retenir en France, c’est que les femmes font vendre.»

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Cinéma, théâtre, musique… Les étudiants-journalistes d’IPJ, l’Institut Pratique du Journalisme de l’Université Paris Dauphine , proposent leur regard sur l’actualité culturelle. IPJ Dauphine

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