LA CRITIQUE – La réalisatrice Ninja Thyberg signe un premier film pseudo-documentaire, voyeuriste et complaisant sur l’industrie du sexe dominée par l’omniprésence des réseaux sociaux.
Depuis quelques mois, Plaisir, le premier film de la Suédoise Ninja Thyberg, 37 ans, (court-métrage devenu long-métrage) promène ses sulfureuses fragrances de festivals en festivals, de Sundance à Cannes en passant par Deauville. Il raconte comment une jeune Suédoise de 19 ans débarque à Los Angeles pour devenir une star du porno. Elle déclare d’emblée à l’officier des douanes qui enregistre son passeport qu’elle vient pour le «plaisir» et non pour le « Entreprise »… Le ton est donné. Le rêve américain de célébrité ne passe plus par Hollywood mais par l’industrie vidéo du X, installé au cœur d’une toile internet enveloppante, déployée sur les réseaux sociaux.
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En 1996, Paul Verhoeven avait montré la voie avec Showgirls, où Elizabeth Berkley incarnait une héroïne, sans famille ni amis, surgissant à Las Vegas avec la ferme intention de devenir danseuse… avant de finir en tournicotant lascivement autour d’une barre de pole dance au bar le Sheetah sous les ordres de Kyle MacLachlan. Si Verhoeven filmait avec la férocité qu’on lui connaît l’univers du striptease, où le mauvais goût le dispute à la satire grinçante, ici rien de tout cela.
Dans Plaisir, l’héroïne (Sofia Kappel, seule actrice n’appartenant pas au milieu du cinéma X) commence par se faire appeler Bella Cherry. Avec un brin de cynisme et une détermination sans faille, elle met toutes les chances de son côté. Voilà d’ailleurs qui rappelle le film de Paul Thomas Anderson Soirées Boogie (1998) où Mark Wahlberg jouait un jeune homme terriblement bien doté par la nature, et qui changeait son nom en Dirk Diggler pour entamer une carrière dans le X à la fin des années 1970. Plein d’humour, tragicomique, le film se voulait une peinture du milieu porno VHS dans ces derniers jours de gloire, sorte de grandeur et décadence d’une star du X (en l’occurrence John Holmes), mais filmé sans le moindre érotisme ni voyeurisme.
Avec Plaisir en revanche, l’héroïne se jette volontairement dans la fange, comme elle plongerait dans la piscine «King size» d’une villa californienne. Bella Cherry est tout sauf une victime innocente. Elle apprend vite et navigue avec audace au sein de ce milieu dont la perversité est naturelle. On ne saura rien de son passé suédois, à part lorsqu’elle téléphone à sa mère qui lui demande de rentrer au pays.
Les séances photo provocantes, les tournages à la chaîne éreintants, l’hygiène obsessionnelle des pornstars, la drogue, les «soirées pyjama» chez les producteurs véreux, rien n’est épargné au spectateur. La mise en scène minimaliste, à la froideur quasi-documentaire, déconcertante, permet de laisser voir sans le vouloir la laideur de ce petit univers machiste, patriarcal et satisfait de lui-même.
Voyeuriste, complaisante même, la caméra de Ninja Thyberg suit la résistible ascension de son héroïne sans aucun recul critique. Cette Rocky en bikini prend son rôle à bras-le-corps, souffre de plus en plus, mais remonte sur le ring et triomphe en s’enfonçant dans l’abject. Ce conte de fées 2.0. se mue progressivement en une série d’épreuves plus violentes et humiliantes à chaque fois, et se fait jour une évidence: sans même en être conscient, Plaisir est en réalité un film d’horreur qui ne dit pas son nom. Le tout dans un monde aux couleurs criardes, rouge sang, bleu électrique, rose bonbon…
Domination, torture, humiliation sont le quotidien de cette «success story». Bella Cherry se fait violenter par deux acteurs qui la croient consentante. Porte-t-elle plainte? Non, elle change tout simplement d’agent… À la fin de ses prises, elle poste sur Instagram ou équivalent des clichés d’elle maculée, défaite, tout en faisant des mines et le «V» de la victoire. Elle gagne ainsi des «Followers», «Pouce bleu» et autre «Like».
On se souvient que dans Démon néon (2016), le Danois Nicolas Winding Refn plongeait Elle Fanning dans un récit ultra-classique, celui d’une jeune fille fraîchement débarquée de sa province attirée par le mannequinat et qui se noyait dans les vapeurs de la célébrité. Mais au moins, le réalisateur de Conduire y ajoutait sa vision sulfureuse, vampirique et cauchemardesque. Dans Plaisir, même sous couvert d’étude sociologique d’un milieu spécifique, aucune vision ne traverse la trajectoire hallucinante de cette jeune suédoise qui rêve d’être une star du X. C’est bien ça le drame…
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