Botticelli, itinéraire d’un enfant prodige: Savonarole, chantre de l’Apocalypse


SÉRIE WEB 7/9 – Le Figaro Hors-Série consacre un numéro exceptionnel au peintre du Printemps. Un moine aux visions terribles instaure sa république. À longueur de sermons, il crie sa haine des Médicis, des « brigands » et des «démons».

La nuit du 5 avril 1492, la foudre a frappé dans un fracas de fin du monde. La gigantesque coupole de la cathédrale, prouesse architecturale et fierté des Florentins, a attiré l’éclair. Au même instant, le prieur de San Marco, Jérôme Savonarole, a eu une nouvelle vision: un glaive immense dans le ciel au-dessus de la ville, l’armée des anges en marche, le châtiment prochain pour les impies.

Dans sa villa de Careggi, alité, malade, Laurent le Magnifique lit dans la colère du ciel l’annonce de son trépas. Trois jours plus tard, il rend l’âme, laissant Florence livrée à elle-même. Pierre de Médicis, tout comme son père autrefois, hérite du pouvoir à vingt ans. Mais il n’a ni le charisme ni la rouerie de ses aïeux. Incapable de rassurer la population de la cité toscane bouleversée par les sermons apocalyptiques de Savonarole, il cède lui-même à la terreur lorsque le prêcheur dominicain prophétise que des barbares vont dévaster l’Italie.
En septembre 1494, le roi de France Charles VIII se lance à la conquête du royaume de Naples. Devant cette invasion qui semble confirmer les prédictions du moine, Pierre perd tout sang-froid. Le 9 novembre, il s’enfuit. Les Médicis ont perdu Florence. Botticelli a l’impression de vivre un mauvais rêve. Mort, Laurent. Mort, Politien. Mort, Pic de la Mirandole. Évanouie, la gloire de Florence. Disparus, tous ses amis. Sandro a bien du mal à repousser l’idée que tous, à Careggi, ont attiré la punition divine. Sans son sens aigu du ridicule qui semble soudain faire défaut au reste des Florentins, lui aussi, peut-être, irait grossir les rangs des foules qui se pressent pour entendre Savonarole.

Nul besoin, d’ailleurs, de bouger : son frère Simone, revenu de Naples à l’annonce de l’invasion française, lui raconta à travers le menu le moindre froncement de sourcils du sombre prophète. Dans un long sermon, il crie sa haine des Médicis,brigands» et des «démons», il prédit à la ville un destin glorieux, jure que Rome n’est plus que Babylone, le pape, qu’un Antéchrist. Il faut se repentir, rejeter toute richesse, revenir à la simplicité qui sied aux disciples du Christ.
Sandro a de quoi séduire : il se fait peu d’illusions sur Rome, où règnent désormais les Borgia ; quant à la conscience du péché, elle l’a longtemps tourmentée. Lorsque Savonarole, qui se rend à l’ambassade de Charles VIII, parvient à éviter le sac de Florence le 28 novembre, il est à deux doigts de rejoindre le peuple qui l’acclame. Seule sa loyauté indéfectible envers les Médicis et sa réticence à hurler avec les loups le retiennent. Il n’apprécie guère, en effet, les partisans des dominicains, jeunes brigadiers fanatiques, aussi prompts à l’anathème qu’à la dénonciation.

Le 7 février 1497, ceux qu’on surnomme les piagnoni, les «pleurnichards», érigent un immense bûcher des vanités. On y jette pêle-mêle perruques, parures, parfums et les robes exquises des nymphes de Sandro. On y empile livres, violes et luths. Lorenzo di Credi, autrefois son compère dans l’atelier de Verrocchio, y dépose lui-même ses propres tableaux. Quand Savonarole est excommunié par le pape Alexandre VI, fatigué d’être sans cesse la cible de ses attaques, Simone adjure son frère de signer la pétition pour la levée de la sentence. Botticelli refuse. Il vient d’achever une fresque pour Lorenzo di Pierfrancesco. Une autre est en attente, dans l’église Ognissanti. Comme chaque jour, il ira peindre. C’est sa manière de résister.

Cependant, en quelques semaines, le vent tourne. La menace française passée, Savonarole ne tarde pas à s’aliéner les grandes familles qu’il avait voulu écarter du pouvoir. Et la foule est changeante. Le 8 avril 1498, elle se retourne avec violence contre celui qu’elle adulait. San Marco est pris d’assaut. Savonarole, arrêté, est sauvagement torturé. On le force à avouer que ses révélations ne venaient pas de Dieu. Le 23 mai, il est pendu. Après avoir brûlé son corps, on disperse enfin ses cendres dans l’Arno, comme pour être certain que rien ne restera de lui. Peine perdue. Les esprits sont marqués par le fer de ses prophéties.

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Couverture du Figaro Hors-Série dédié à Botticelli
La Belle Simonetta, Botticelli, 1485 (Musée Städel)

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