Botticelli, itinéraire d’un enfant prodige : la force de l’âge


WEBSÉRIE 2/9 – Le Figaro Hors-Série consacre un numéro au peintre du Printemps. Sandro signe son premier contrat: deux Vertus pour orner la salle du Conseil de la Mercanzia. Il peint La Force, véritable coup de maître.

Il ne suffit pas d’être un petit prodige. Il faut encore forcer le destin. Toucher, ravir, étonner ces grands qui sacrent les artistes, Sandro s’en sait capable, mais comment les atteindre ? Ce simple fils de tanneur se découvre alors des alliés inattendus : les siens. Depuis 1464, il habite avec son père et ses frères non loin de Santa Maria Novella. Or chez les Filipepi les affaires sont devenues prospères, grâce à Giovanni, « petit tonneau », qui travaille comme changeur.

Peu à peu, la famille s’est liée avec les puissants Rucellai, banquiers et marchands d’étoffes ; Simone, le troisième de ses frères, est leur courtier à Naples. Et puis, une maison plus loin, les voisins se nomment Vespucci, ils sont notaires. Leur fils Amerigo commerce et navigue, il rêve de nouveaux mondes. Tous sont de fidèles partisans des Médicis, alors maîtres à Florence. Aucun n’est insensible au talent de Botticelli qui a installé son atelier dans la demeure familiale. Par l’intermédiaire des Vespucci, Sandro est présenté à l’oncle de Laurent de Médicis, l’influent Tommaso Soderini. Ce dernier se prend rapidement d’affection pour le jeune peintre. Il cherche même un jour à le marier, mais Sandro esquive d’une pirouette : « Merci bien, vraiment, mais voyez-vous j’ai déjà fait ce cauchemar-là… depuis j’en aurais presque peur de dormir ! » Le vieil homme plaisante volontiers et ne s’offusque guère de ces gracieuses insolences. Cette fois-ci, c’est décidé, il donnera à Botticelli ce coup de pouce dont il a besoin.

L’occasion ne tarde pas à se présenter. À la cour de la Mercanzia, sorte de tribunal de commerce florentin, on a décidé de faire orner la salle du Conseil. Soderini y est juge, le plus illustre de tous. Bien sûr, on a déjà confié l’exécution des sept allégories des Vertus à Piero del Pollaiolo, dont la réputation est bien établie et dont tout le monde loue le travail. N’importe. En vieux roublard de la politique florentine, Soderini profite d’un retard dans la livraison d’une partie de la commande pour faire attribuer deux des Vertus à son protégé ; Sandro n’en réalisera qu’une seule, mais elle sera son premier chef-d’œuvre.

Il peindra La Force. Le 18 juin 1470, le contrat entre le peintre et les six juges de la Mercanzia est signé. Il obtiendra vingt florins par Vertu. Deux mois plus tard, jour pour jour, il reçoit la somme due. L’œuvre est un éblouissement. Botticelli a eu l’insigne audace de battre Pollaiolo sur son terrain. Par souci d’unité, il a calqué sa composition sur celles de son rival : comme les autres Vertus, sa Force se tient assise, les yeux détournés, sur un trône de pierre. Son génie, pourtant, n’y brille qu’avec plus d’éclat. Auprès des feuilles d’acanthe de Sandro, somptueuses, les marbres de Piero sont à mourir d’ennui !

Et puis il y a cette femme, majestueuse, sculpturale. Le visage, qui rappelle un dessin copié chez Verrocchio. Les drapés virtuoses de la robe et du manteau écarlate, où Lippi a laissé son empreinte. Et les mains, longues, mais aussi souples, nerveuses, qui jouent distraitement avec une masse d’armes. La Force a la puissance contenue et l’œil impénétrable des fauves, leur assurance tranquille, leur menaçante indifférence. C’est un véritable coup de maître. Du jour au lendemain les commandes affluent. Les amateurs apprécient le dessinateur, le lecteur assidu d’Alberti, dont les visages peints « donnent l’impression de sortir des tableaux comme s’ils étaient sculptés ».

Grâce à Soderini, Botticelli est devenu l’un des artistes les plus prisés de Florence. Il ne sera pas ingrat. S’il est un trait de son caractère que ses proches aiment autant en lui que son humour, c’est bien sa fidélité. Ainsi, à la mort du vieux maître Lippi, on le vit accueillir son fils Filippino dans son atelier. Sandro n’oublie pas non plus Soderini. Pour les Pucci, amis de longue date du vieil homme, il peint sa première Adoration des Mages. Rucellai, Vespucci, Soderini, Pucci… Botticelli le sait bien, parmi les familles influentes de Florence, il a choisi le camp de la faction dirigeante. Les Médicis en personne devinrent bientôt ses mécènes. Premiers pas dans la cour des grands.

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Le Figaro Hors-Série consacre un numéro au peintre du Printemps. Le Figaro

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