« J’ai réussi à retourner mes peurs pour les transformer en plaisir »


Vainqueur de l’ordre du Mérite du Pro Golf Tour (3e division européenne) en 2021, le Français a mûri depuis l’«année horrible» vécue sur le Challenge Tour en 2019.

Surnommé (précocémment) le « Dustin Johnson français » après ses exploits au driving sur l’Albatros lors de l’Open de France 2016 alors qu’il n’était âgé que de 23 ans, Mathieu Decottignies-Lafon a connu ensuite des saisons compliquées, faites de hauts et de bas. Le Nordiste (28 ans) qui vit aujourd’hui au Portugal avoue avoir pris une « telle claque » en 2019 qu’il lui a fallu bosser dur pour retrouver la confiance. Ses victoires obtenues en 2021 témoignent d’une approche nouvelle : l’homme – à la personnalité attachante – a pris en mains son projet de jeu et ses ambitions. De retour sur le Challenge Tour en étant mieux structuré, il compte maintenant entretenir une trajectoire ascendante pour viser le Tour européen. Entretien à cœur ouvert.

LE FIGARO GOLF. – Au terme d’une saison commencée en avril et après deux victoires en tournois (NewGiza Pyramids Challenge et Wolf Open), vous venez de remporter l’Ordre du Mérite du Pro Golf Tour (3e division européenne). Êtes-vous satisfait ?

Mathieu DECOTTIGNIES-LAFON. – Oui, je suis content, bien sûr. Content que cela se finisse par cette victoire de l’ordre du Mérite, même si je n’ai gagné que deux fois et pas trois, selon l’objectif que je m’étais fixé en début d’année. Mais, bon, j’ai effectué une bonne saison en jouant bien au golf, avec une très bonne attitude, surtout. C’est pour moi le plus important.

Racontez-nous ces deux dernières années particulières, compte tenu du contexte général…

En 2020, J’avais commencé la saison au Maroc avant qu’elle soit interrompue par la pandémie. Au total, j’avais joué onze tournois en décidant de vivre ça de manière positive. Fin 2019, j’avais changé de coach en quittant Benoit Ducoulombier pour revenir m’entraîner avec Laurent Cabannes. J’ai surtout fait l’état de mon jeu de golf. Je me suis rendu compte que je m’étais éloigné de mon système et que je n’étais pas performant comme ça. Il fallait que je revienne à un swing plus naturel. 2020 tombait bien : je voulais remonter sur le Challenge Tour en refondant des bases solides pour la suite. J’ai presque envie de dire que le Covid-19 a été une bonne chose au final. Tous les classements étaient plus ou moins gelés et j’ai pu m’investir à 200%. Très vite, j’ai senti que je recommençais à taper des meilleurs coups. Il fallait juste que j’apprenne à gérer les mauvais coups. Avec la compétition, j’ai commencé à comprendre comment je fonctionnais.

Un déclic s’est-il produit ?

Au mois de mai dernier est arrivé le Linxea Open, organisé sur l’Albatros au Golf National. Je savais que j’allais y jouer le parcours le plus dur de l’année. On a évolué dans des conditions pas évidentes, voire dantesques le vendredi. Je me suis rendu compte d’un petit truc dans mon swing. J’en ai parlé à mon coach et j’ai tout de suite bossé pour le corriger. Après deux heures de practice, je l’ai rappelé en lui disant : « Ecoutes, là, ça commence à être vraiment solide mais ma trajectoire de balle a changé au drive ». D’un système en fade avec lequel je n’avançais plus et ne prenais plus de fairway, j’étais revenu sur mon « draw » naturel et, là, je repartais sur du fade ! J’étais un peu en panique…

Qu’est-il arrivé ?

J’ai donné les chiffres qu’affichait le Trackman. J’étais à 275-280 mètres en fade. Laurent m’a dit : « Fade ou draw, on s’en fiche. Le fade peut être pour toi, mais il ne faut pas que ce soit un fade bloqué, plutôt un fade avec les mains car tu es un joueur de mains. » Et voilà où était le problème. Ce qui « buggait » dans mon swing, c’est que je n’arrivais pas à relâcher mes mains. La semaine d’après, je gagnais en Égypte avec cinq coups d’avance et en drivant magnifiquement. Le tournoi suivant, je terminais 5e. À partir de là, il y a eu un vrai déclic dans mon jeu. La victoire en tournoi, l’amélioration de mon jeu… Je savais que j’avais enclenché la remontée.

Je suis un vrai joueur de feeling et je suis quelqu’un qui est beaucoup dans le ressenti. Mais j’ai besoin d’analyser et de comprendre ce qui se passe. Je réfléchis énormément sur mon golf.

Mathieu Decottignies-Lafon

Ce que vous racontez là semble également témoigner d’une maturité golfique, voire générale, nouvelle…

Je suis un vrai joueur de feeling et je suis quelqu’un qui est beaucoup dans le ressenti. Mais j’ai besoin d’analyser et de comprendre ce qui se passe. Je réfléchis énormément sur mon golf. En fait, après le Linxea Open, j’avais tapé beaucoup de bons coups mais aussi pas mal, voire trop de coups qui ne me plaisaient pas. M’est alors revenue une discussion avec Laurent Cabannes qui datait de quatre ans : il m’avait donné un détail sur le draw. Je l’ai appliqué et tout a changé. La maturité a été d’appliquer ça et ensuite de ne pas y toucher de toute la saison. Je n’ai rien fait d’autre. Je n’ai pas vu Laurent depuis le mois de mars. Je n’ai pas travaillé de swing depuis tout ce temps. J’ai juste pris mon système en mains et tout mon staff m’a permis d’avoir confiance.

Vous avez fait une saison sans coach ?

Non, ce serait mentir. Disons que j’ai géré mon projet un peu tout seul. Fin 2019, je me suis rendu compte que j’avais une certaine expérience, maintenant. Cela fait dix ans que je ne fais que jouer au golf. Je commence à vraiment bien me connaître et je n’ai besoin de personne pour m’aiguiller. Cela doit être moi le maître de mon projet. J’en suis responsable. Et aujourd’hui, j’ai des gens qui connaissent bien les statistiques autour de moi. Ils savent me dire de quoi j’ai besoin pour aller où je veux aller. Je bosse le swing pour aller dans ce sens-là, mais ce n’est pas les attentes d’un nouveau swing qui me guident…

Vos bons résultats nourrissent-ils un projet global ambitieux ?

Oui, outre le fait d’avoir changé de système de jeu, j’ai ajouté beaucoup d’éléments dans ma vie. J’ai un coach qui est un ami de longue date qui m’aide aujourd’hui sur la gestion de ma carrière, de mes performances et de mes entraînements. Je travaille également le mental avec une outre personne. Outre Laurent Cabannes, j’ai un autre coach avec lequel je travaille le petit jeu. J’ai passé un cap en termes de structuration et de professionnalisation en mettant en place un écosystème sain autour de moi. Le soutien de mes partenaires Puma, Cobra et Oitavos Dunes m’a conforté. En me sentant bien en dehors du golf, je me sentais bien sur les parcours.

Comment allez-vous appréhender la prochaine saison, désormais ?

Mes statistiques sont bonnes, on ne va rien changer cet hiver. Il n’y a pas de changement à faire au niveau du grand jeu. Je vais travailler le putting, le physique et le mental. Et basta. J’avais déjà gagné deux tournois dans une saison. J’avais terminé 3e de l’ordre du mérite en 2018 et 8e en 2015. Je n’avais jamais gagné avant cette année. C’est cool.

Quelle va être votre ambition ?

Clairement, j’ai des objectifs de progression cet hiver. Je veux continuer à progresser dans le grand jeu, parce que c’est mon point faible. Ce sera ma deuxième saison compète sur le Challenge tour. Je veux y arriver plus en forme qu’en 2019. Mon copain Julien Brun a eu la même trajectoire que moi. Il était sur le Pro Golf tour l’an dernier et il est monté sur le Challenge Tour avant de rejoindre désormais le Tour européen. C’est clairement ce genre de trajectoire que je regarde.

La saison prochaine, votre catégorie de jeu va vous ouvrir l’intégralité des tournois du Challenge Tour…

Oui, normalement, ce devrait être ça. Je sais que si je mets le boulot en face de calendrier et que je suis constant, j’ai la capacité de bien faire. À l’image de ce qu’a fait Julien Brun en 2021. Aujourd’hui, j’ai mûri. Je fais de mon mieux en amont et le reste du temps, j’accepte… Le golf est un sport où on contrôle peu de choses, il faut l’accepter.

C’est une approche différente de celle qui était la vôtre auparavant ?

Oui, bien sûr. Je veux aller sur le Challenge Tour pour performer. Cette année, j’ai joué trois tournois du calendrier : j’ai raté le cut de peu à Pléneuf, puis en Angleterre et en Provence, j’ai marqué plus de points que durant toute mon année 2019 à cet échelon !

Avec Antoine Rozner, Romain Langasque, Mike Lorenzo-Vera, Julien Brun, Ugo Coussaud, Félix Mory… On se connaît depuis qu’on a treize ou quinze ans… Ce serait génial de pouvoir partager avec eux des tournois, voire des parties sur ce qui se fait de mieux en Europe.

Mathieu Decottignies-Lafon

Cette montée est aussi l’opportunité de retrouver beaucoup de joueurs avec lesquels vous avez fait vos classes…

C’est ça. Cette année, j’ai voyagé tout seul. Je me rapproche de pouvoir un jour retrouver tous mes potes sur le Tour européen. Avec Antoine Rozner, Romain Langasque, Mike Lorenzo-Vera, Julien Brun, Ugo Coussaud, Félix Mory… On se connaît depuis qu’on a treize ou quinze ans… Ce serait génial de pouvoir partager avec eux des tournois, voire des parties sur ce qui se fait de mieux en Europe. Voilà, on s’était dit en étant gosse qu’on se retrouverait un jour sur le Tour européen, c’est clairement une motivation de pouvoir le vivre un jour.

La prudence ne doit pas empêcher la confiance en golf. Envisagez-vous désormais des performances que vos résultats chez les jeunes laissaient envisager ?

Vraiment, je pense avoir pris une telle claque en 2019, surtout au niveau de la confiance, que je suis hypercontent d’avoir réussi à retourner ce truc-là. Je suis parvenu à trouver du positif dans cette saison qui a été globalement horrible. Elle a été un tournant dans ma carrière.

De quoi avez-vous besoin désormais ?

Quand je joue avec mes copains, je vois que je n’ai pas grand-chose à leur envier. J’ai besoin de mettre le travail aux bons endroits. Je dois continuer à faire ce que je sais faire. Ne pas oublier que j’aime jouer au golf. Le Pro golf Tour est un circuit qui vous emmène parfois au milieu de nulle part, sur des parcours qui sont comme ils sont, sans public… C’est un des circuits les plus durs mais j’ai réussi à prendre du plaisir cette année. Et ça, cela a été le gros point clé de ma saison. Plaisir sera le maître-mot de ma prochaine saison, que je sois tout sourire en train de jouer pour gagner ou avec la peur au ventre pour passer le cut, voire de terminer une carte de 75…

Le golf est-il…

(Il coupe.) J’ai réussi à retourner mes peurs pour les transformer en plaisir, cette année. Je veux continuer à me servir de ça. Il y eut des moments où je n’étais pas bien mais je me disais : « Si tu n’es pas bien, c’est que tu aimes ça. Profites-en ! Si tu n’en avais rien à faire, tu n’aurais pas peur ! Tu sais ce que tu as à faire, fais-le ! »

Qu’allez-vous faire du trophée réservé au vainqueur du Pro Golf Tour… qui est énorme !

(Il rit.) Heureusement, on ne l’emporte pas avec soi. Sinon, il aurait pris la totalité d’une pièce dans notre appartement. Ma compagne n’est pas mécontente de ne pas avoir à gérer ça…



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