la contrebande de mangas en ligne donne du fil à retordre aux éditeurs


Une offre légale et gratuite se développe pour lutter contre le partage numérique illicite des bandes dessinées japonaises et leur traduction bricolée avant l’heure.

Les mangas ont le vent en poupe en France. Déjà très friand de bande dessinée japonaise, le pays a décuplé depuis l’année dernière son appétit pour cette littérature au point d’en devenir un des plus grands consommateurs mondiaux derrière le Japon ainsi que le premier marché en Europe. Portée comme des séries historiques comme Une pièce ou par des nouveautés au succès fulgurant comme Tueur de démons , cette dynamique heureuse s’accompagne cependant d’un nuage aux sombres réverbérations : celui du piratage numérique.

Davantage encore que pour les autres produits de divertissements, comme les films ou les séries, un des ressorts de la consultation illégale des mangas en ligne tient du décalage entre la publication des titres au Japon et dans le reste du monde. Un retard dû à la traduction étrangère qui ne se fait qu’après la parution japonaise et qui caractérise par un écart de «6 à 12 mois environ», selon la directrice éditoriale manga chez Glénat, Satoko Inaba, consultée par l’AFP. Un décalage frustrant pour les lecteurs étrangers avides de poursuivre la suite de leur lecture, mais ne lisant pas le japonais.

Or depuis de nombreuses années déjà, des communautés de passionnés se sont organisées en ligne pour proposer leur propre traduction amatrice. Des mangas entiers parus au Japon mais encore introuvables dans leurs propres pénates se retrouvent alors en ligne, sur des sites spécialisés. Une sous-culture numérique de Fandubs (sous-titrage amateur des animés) et de « fanscans », ou «scan-trad» (traduction amatrice des mangas), avec leurs courants et leurs codes, pullule donc dans les recoins japonophiles d’Internet, et offrent leurs traductions bricolées – avec plus ou moins d’adresse – au regard des curieux et au plus grand dam des ayants-droits. Après s’être longtemps contenté de jouer au chat et à la souris avec les pirates, en faisant fermer les sites concernés, les éditeurs cherchent désormais, depuis quelques années, à développer leur offre numérique légale pour mieux capter cette audience connectée et impatiente.

Les corsaires de l’offre numérique légale

Bien conscient de l’importance du marché français et du manque à gagner généré par le piratage de ses œuvres, la maison d’édition japonaise Shueisha – éditeur de Une pièce, Dragon Ball, et leader historique du marché – a ainsi lancé à la fin septembre la version française de son application Manga Plus. Inaugurée en 2019, l’application fournit un accès gratuit, légal et simultané aux premiers et derniers chapitres d’une sélection de mangas pour une durée limitée. Ces chapitres sont alors disponibles immédiatement en français, grâce à l’implication des éditeurs partenaires de Shueisha, comme Glénat ou Kazé. Une vitesse qui a un coût. «On a recruté une éditrice», a par exemple mentionné à l’AFP le directeur marketing France de Crunchyroll – la maison mère de Kazé – Jérôme Manceau.

Si la sélection de mangas disponibles dans la version française de Manga Plus est encore assez réduite – 8 titres seulement (dont les très populaires Une pièce ou Mon université de héros, ainsi que les nouveautés Mort-vivant Malchance et Kaiju N°8) contre 118 dans sa version anglaise -, l’offre devrait se développer avec le temps. Les éditeurs français entendent aussi s’y retrouver, en remployant leur traduction-éclair au sein de leur propre offre numérique légale, à l’image de la plateforme Glénat Manga Max.

Nous espérons que le développement d’offres légales comme Manga Plus permettra de convertir les lecteurs en les faisant aller des sites de manga pirates vers des offres légales.

L’éditeur japonais Shueisha

Pierre angulaire de son modèle, la gratuité de Manga Plus est une des principales raisons du succès de l’application qui compterait quelque 5 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Comme l’explique Shueisha, cette attractivité a précisément pour objet de rendre immédiatement accessible en ligne le produit convoité par les lecteurs de contenus piratés. Et, si possible, «convertir les lecteurs en les faisant aller des sites de manga pirates vers des offres légales», espère la maison d’édition interrogée par l’AFP. «Pour nous, c’est une vitrine publicitaire, a également abondé Satoko Inaba, pour le cas des mangas édités par Glénat. Si une personne, qui n’était intéressée que par Une pièce, arrive à s’intéresser à un autre titre grâce à cette vitrine, cela veut dire que cela a marché pour nous».

Cette offre légale et gratuite porte-t-elle ses fruits contre la piraterie en ligne des mangas ? Oui, estime Shueisha. Si, de son propre aveu, le manque à gagner lié au piratage est «impossible à quantifier», les millions de visiteurs de l’application grignotent au moins une partie du public traditionnel des sites pirates. «Depuis le lancement de Manga Plus, il y a eu plusieurs exemples de gros sites proposant des mangas illégalement qui ont cessé de publier des mises à jour, s’est félicité l’éditeur auprès de l’AFP. Il y a aussi des services web qui ont interdit à leurs utilisateurs de publier des liens vers les versions piratées des séries disponibles sur l’application.»

Les ventes physiques de mangas se sont multipliées pendant les confinements et couvre-feux successifs. D’après l’institut GfK, plus de 28 millions de mangas se sont écoulés en France entre janvier et août 2021, contre quelque 20 millions pour le reste de la bande dessinée. «On est sur un marché qui est multiplié par deux pratiquement chaque année, a résumé pour l’AFP Jérôme Manceau. C’est une période exceptionnelle pour nous, ça ne s’est jamais vu». Un élan qui pourrait encore s’accroître, si la canonnade légale des éditeurs devait parvenir à couler, ou du moins à entamer, la barque rondement menée des pirates du manga et des boucaniers nipponophiles.

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