Viol et violences, terrorisme et extrémisme religieux, vengeance et rédemption … Cette première mondiale oscillant entre thriller et mélodrame a bousculé le répertoire classique de la prestigieuse scène italienne. Les artistes ont été largement salués par le public.
Loin des codes habituels, Madina, un ballet aux confins du théâtre et de l’opéra, retraçant la vie d’une kamikaze qui a refusé de passer à l’acte, a fait un triomphe à la Scala de Milan, peu coutumière d’expériences mêlant les genres artistiques.
À lire aussiLa Scala de Milan rouvre ce soir après six mois de silence et promet «des larmes de bonheur»
Viol et violences, terrorisme et extrémisme religieux, vengeance et rédemption … cette première mondiale oscillant entre thriller et mélodrame a bousculé le répertoire classique de la prestigieuse scène italienne. Une fois le rideau tombé, les artistes ont été salués vendredi soir par dix minutes d’applaudissements nourris et de nombreux «Bravo!» fusaient depuis les balcons. «Ce spectacle est une nouveauté absolue en termes de musique et chorégraphie. Il ne peut pas être catalogué comme ballet, opéra ou pièce de théâtre. C’est un objet non identifié», avait commenté mercredi lors de sa présentation le directeur de la Scala, Dominique Meyer.
Signé de l’écrivaine française Emmanuelle de Villepin, le libretto s’inspire de son roman La fille qui ne voulait pas mourir (La fille qui ne voulait pas mourir), qui raconte une histoire vraie, celle de Madina, victime des atrocités de la guerre en Tchétchénie et forcée par son oncle Kamzan à devenir kamikaze.
Viol et traumatisme
Violée par les troupes d’occupation, Madina se voit ainsi infliger par sa famille un autre traumatisme: pour venger ce «déshonneur», Kamzan pousse la jeune fille à commettre un attentat-suicide. Mais au dernier moment, elle jette sa ceinture d’explosifs par terre pour sauver sa vie et celles des autres. Afin de rendre la pièce musicale «plus emblématique et universelle», toute référence géographique ou temporelle a été enlevée, explique son compositeur Fabio Vacchi. «Cela pourrait être la Syrie, le Kurdistan, l’Afghanistan ou n’importe quel autre» théâtre de violences.
Des mouvements guerriers et saccadés, agressifs ou désespérés, des étreintes forcées: Madina, incarnée majestueusement par la prima ballerina Antonella Albano, et Kamzan, interprété avec brio par le danseur étoile Roberto Bolle, se livrent à des pas de deux empreints d’une vive émotion. Un écran géant qui surplombe la salle mythique montre des images de destruction, rappelant la mort sous les bombes d’une grande partie de la famille de Madina, mais aussi la vie derrière les barreaux de la jeune fille, arrêtée après son attentat avorté. Covid oblige, les percussionnistes étaient relégués dans des loges pour ne pas concentrer l’ensemble de l’orchestre dans la fosse et la salle n’était remplie qu’à moitié de sa capacité.
Magie de la danse
La chorégraphie mouvementée de Mauro Bigonzetti traduit en langage corporel des émotions fortes qui accompagnent des scènes parfois oppressantes, souvent violentes. Le tout rythmé par les chants émouvants de la mezzo-soprano Anna-Doris Capitelli et du ténor Chuan Wang qui rejoignent la voix du narrateur, l’acteur Fabrizio Falco. Danse Médine, «c’est d’une difficulté physique à la limite du possible», s’émerveille le directeur du ballet de la Scala, Manuel Legris, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris. «Madina représente la femme, la force, la capacité de se réinventer et de rebondir», estime, émue, Antonella Albano. La jeune danseuse se retrouve dans son personnage: comme Madina, «je n’abandonne pas, je vais toujours de l’avant». Tout un défi aussi pour Roberto Bolle, danseur étoile de la Scala qui avoue avoir dû puiser en lui «des ressources nouvelles pour exprimer des émotions inédites». «C’est un rôle très différent de ceux que j’ai interprétés jusqu’ici, c’est méchant, violent, cruel».
La magie de la danse estompe toutefois les frontières entre le bien et le mal. Très intense et subtil, ce spectacle complexe refuse de tomber dans le manichéisme. Au fur et à mesure que la pièce avance, «il devient de plus en plus difficile de distinguer qui est la victime et qui est le bourreau», résume son auteure, Emmanuelle de Villepin.
À voir aussi – Théâtre: ces femmes qui ont réveillé la France selon Jean-Louis Debré
.