À la découverte des secrets d’une épave «rarissime» au large d’Ajaccio


ARCHÉOLOGIE – Des scientifiques français, italiens et suédois mènent, avec l’aide de la marine nationale, une grande enquête pour tenter de lever le mystère du «Sanguinaires C», navire du XVIe siècle qui gît par 19 mètres de fond.

Découverte en 2005 au large d’Ajaccio, l’épave «Sanguinaires C» garde ses secrets malgré plusieurs campagnes de fouilles. Mais une véritable «enquête archéologique» a été lancée pour tenter de lever le mystère sur ce navire du XVIe siècle, avec des scientifiques français, italiens et suédois.

Résoudre ce Cluedo sous-marin pourrait fournir «un éclairage sur la fondation génoise d’Ajaccio, à la fin du XVe siècle, et sur le commerce maritime entre l’Europe du Nord et le monde méditerranéen du début du XVIe siècle», s’enthousiasme Marine Sadania, du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), auprès de l’AFP.

D’autant que «les archives du XVIe siècle sont assez rares et ne disent pas tout», précise cette archéologue, co-responsable avec Hervé Alfonsi, de l’Association pour la recherche archéologique sous-marine (ARSM), de la nouvelle campagne de fouilles (2021-2023) dont la première session est prévue jusqu’à mi-octobre.

Hervé Alfonsi, de l’Association pour la recherche archéologique sous-marine (ARSM), est co-responsable de ces fouilles qui doivent durer jusqu’en 2023. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

«Témoin exceptionnel» de cette époque, l’épave de ce bateau au nom inconnu gît par 19 mètres de fond, près des îles Sanguinaires d’Ajaccio, recouverte par son énorme chargement de pierres, une masse de 18 mètres de long, 12 mètres de large et 2,80 m de haut.

«Dans cette enquête archéologique, chaque indice compte», souligne Marine Sadania. Avant d’ajouter : «On a identifié les pierres, c’est du calcaire dolomitique utilisé pour faire de la chaux.» Des échantillons vont être comparés à «des référentiels dans un laboratoire génois, qui pourra dire si les pierres viennent ou non de Gênes».

Mais c’est aussi la construction du navire, dite «à clin», qui a éveillé toutes les curiosités. «C’est un assemblage particulier de la coque propre à l’arc atlantique, la Manche, la mer du Nord et toute l’Europe du nord, rarissime sur le territoire national, et en Méditerranée, c’est juste exceptionnel», insiste la chercheuse. Selon la préfecture maritime, ce n’est que «la troisième épave à clin découverte sur l’ensemble du pourtour méditerranéen».

«Ce bateau n’a donc pas été construit en Méditerranée, sauf si on a le scoop du siècle, mais on n’y croit pas trop», avance cette Sherlock Holmes des fonds marins.

« S’il est venu d’Europe du Nord, ce bateau est nécessairement passé par Gibraltar. Mais a-t-il fait escale à Cadix ? À Bayonne ? En Bretagne ? Et pourquoi se retrouve-t-il en Méditerranée ? Et quelles sont les circonstances de son naufrage ? »

Marine Sadania, du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines

«On a trouvé un bateau aux mêmes caractéristiques de construction en Suède, il faut donc qu’on aille voir. Voilà pourquoi on établit des collaborations avec des chercheurs suédois», précise-t-elle.

Pour cette nouvelle campagne de fouilles, après des sessions en 2018, 2019 et 2020, la Drassm a sollicité l’aide de la marine nationale et de ses plongeurs-démineurs, «pour enlever la partie supérieure du chargement de pierres et laisser juste une couche qui protège l’épave».

«On a une compétence en matière de plongée et de désenfouissement d’objets qui intéressait la Drassm, et c’est toujours intéressant de faire des activités qui sortent un peu de l’ordinaire», a indiqué à l’AFP Gilles Boidevezi, le préfet de la Méditerranée.

Une certitude, le bateau n’a pas atteint sa destination, sans doute Ajaccio. Mais d’où venait-il ? S’il est venu d’Europe du Nord, «il est nécessairement passé par Gibraltar mais a-t-il fait escale à Cadix ? À Bayonne ? En Bretagne ? Et pourquoi se retrouve-t-il en Méditerranée ? Et quelles sont les circonstances de son naufrage ?», s’interroge la scientifique.

Hervé Alfonsi avait déjà sorti des céramiques du XVIe siècle venant de la Ligurie, de Pise et Gênes, aujourd’hui étudiées par des céramologues de l’université d’Aix-Marseille. De même, des fonds de petits tonneaux en bois ont été retrouvés, qui servaient au stockage des denrées alimentaires à bord.

Deux ancres, deux grandes meules et des «concrétions ferreuses» gardent elles leurs secrets : «Les Génois fabriquaient beaucoup de fer au XVIe siècle et le distribuaient en barre, on soupçonne que ce soit ça», avance Mme Sadania.

Une autre découverte fait briller les yeux de la scientifique : «Le couvercle d’une boîte de compas de navigation. Rarissime ! Un élément comme celui-là, en France, issu de fouilles de cette période-là, aujourd’hui, ça n’existe pas !» L’enquête se poursuit.

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