Le procès R. Kelly permet enfin de donner écho «au sang, à la sueur et aux larmes des femmes noires»


Pour les défenseurs des femmes victimes de violences sexuelles, l’audience du chanteur de 54 ans, pointe pour la première fois, la réalité de ces crimes dans la communauté afro-américaine.

Quatre ans après le début de la vague #Metoo aux États-Unis, le procès de la star déchue R. Kelly a permis de faire entendre la voix des femmes noires victimes de crimes sexuels, longtemps tue dans la communauté afro-américaine.

R. Kelly, chanteur mondialement connu pour son tube Je crois que je peux voler a été reconnu coupable lundi par un tribunal de New York d’une série de crimes sexuels, dont celui d’avoir dirigé pendant des années un «système» d’exploitation sexuelle de jeunes femmes, dont des mineures. Rien de nouveau, déplorent aujourd’hui des défenseurs de victimes de violences sexuelles, mais avec le procès Kelly, c’est la première fois que police, justice, médias et opinion publique prennent au sérieux la réalité de ces crimes dans la communauté noire américaine. «J’ai été harcelée pendant des années pour avoir dénoncé ce que m’avait fait subir ce prédateur», a écrit Jerhonda Pace sur son compte Instagram, après son témoignage au procès contre R. Kelly. «Les gens me traitaient de menteuse», a-t-elle rappelé, quand, encore adolescente, elle racontait les sévices infligés par l’artiste.

Pour Kenyette Barnes, à l’origine du mot-dièse #MuteRKelly en 2017 – la même année que le mouvement mondial #Metoo déclenché par l’affaire Harvey Weinstein- la justice américaine a permis pour la première fois de donner écho «au sang, à la sueur et aux larmes des femmes noires» que la société américaine ne voulait jusqu’à présent pas voir. Bien avant que les violences ne deviennent virales sur les réseaux sociaux, des femmes afro-américaines bataillaient pour alerter les autorités et l’opinion publique aux États-Unis. Mais pour une partie de la société, «les femmes noires ne sont ni susceptibles d’être violées, ni crédibles», dénonce Mme Barnes.

Pédopornographie

R. Kelly a été reconnu coupable de tous les chefs d’inculpation: extorsion, exploitation sexuelle de mineur, enlèvement, corruption et travail forcé, sur une période allant de 1994 à 2018. Les premiers cas documentés de crimes de l’artiste remontent aux années 1990, mais rien ne sort à l’époque en raison de son aura sur ses fans et grâce à son entourage qui protège son pouvoir et sa notoriété. R. Kelly est acquitté en 2008dans un procès pour pédopornographie: une cassette vidéo sordide, vendue sous le manteau, le montre commettant des crimes sexuels avec une adolescente de quatorze ans.

Le critique de musique de Chicago Jim DeRogatis, qui fut destinataire de cette cassette, la remet à l’époque à la police et enquête des années durant sur les agissements de R. Kelly. C’était «la chose la plus affreuse que j’avais jamais vue», confie-t-il aujourd’hui à l’AFP, jugeant que ces images auraient dû suffire à faire tomber la star. Mais à l’époque, c’est le silence et l’omerta dans la société américaine où «rien ne compte moins que les jeunes filles noires», déplore M. DeRogatis. Il est toujours extrêmement dur pour une victime de violences sexuelles de s’exprimer. Pour les femmes «de couleur», c’est presque impossible, explique LaShanda Nalls, directrice d’un centre de soins post-traumatiques à Chicago.

«#Metoo, pas pour les femmes noires»

La chanteuse Sparkle, qui fut un temps proche de R. Kelly, avait affirmé lors du procès de 2008 que la jeune fille sur la vidéo pédopornographique était sa nièce. Son témoignage, dénonce-t-elle cette semaine dans le Magazine new-yorkais, lui a coûté sa carrière. «Même au moment de #Metoo, je ne pensais pas que c’était pour les femmes noires», tranche-t-elle dans cette interview. «Nous sommes tellement marginalisées. Nous n’avons pas le soutien dont bénéficient les femmes blanches. Nous sommes traitées comme des moins que rien». D’après des enquêtes sociologiques américaines, les jeunes filles afro-américaines seraient davantage soumises aux pressions sociales de «l’hypersexualisation» tendant à les voir comme des adultes dès leur puberté. Ainsi, une étude de l’université Georgetown avait conclu en 2017 que les filles noires étaient perçues comme ayant moins besoin d’être «protégées que les filles blanches du même âge». Ou que les enfants noirs avaient l’air «plus adultes» et sensibles à la sexualité, parfois dès l’âge de cinq ans. Des visions véhiculées par une partie du corps social américain totalement biaisées, dénoncent des experts, mais qui s’expliqueraient par l’histoire du racisme dans ce pays.

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