Undertaker ou quand l’un des meilleurs westerns actuels rend hommage à Blueberry


LA CASE BD – Réalisé avec brio par le dessinateur Ralph Meyer et le scénariste Xavier Dorison, le sixième tome des aventures de Jonas Crow, ancien soldat durant la Guerre de Sécession devenu croquemort, est une vraie réussite. Son dessinateur analyse une planche.

Sur la couverture du sixième tome d’pompes funèbres, on voit Jonas Crow sauter d’un wagon sur l’autre. L’hiver est là. La cime des pins ploie sous la neige et le toit du train est blanc.

Figé en plein saut, carabine à la main, l’Undertaker n’est pas à la fête. Derrière lui, le tunnel s’éloigne tandis que deux silhouettes patibulaires émergent bien décidées à lui faire la peau. On dit souvent que l’on mesure la réussite d’un album à son visuel de couverture. Intitulé Sauvage, cet album à la une gorgée d’action et d’énergie suspendues, figure parmi les plus belles du genre.

Un épisode mené tambour battant

L’histoire met en scène un drôle de cow-boy, Jonas Crow, un ancien soldat, blessé durant la guerre de Sécession. On notera que son nom de famille «Crow» fait allusion au corbeau, funeste oiseau de malheur s’il en est! Désormais croque-mort itinérant dans l’Ouest américain, ce personnage assez noir qui dissimule un sombre passé offre ses services à qui veut.

Cette aventure menée tambour battant débute dans l’album précédent. L’Undertaker a retrouvé son ami d’enfance Sid Beauchamp, qui l’a embarqué dans une sombre affaire. Ils doivent se rendre en territoire apache afin de récupérer le corps du fils d’une riche veuve de Tucson, Joséphine Barclay. Elle a promis de se marier avec Sid et faire de lui l’homme fort de Tuscon.

Accompagnés par un groupe d’hommes de main, dirigé par un Mexicain ombrageux nommé Chucho, les deux hommes s’acquittent de la mission. Mais de nombreuses complications surgissent. La vérité éclate : le jeune Caleb Barclay n’a pas été enlevé par les Indiens. Il se faisait même appeler «l’Indien blanc». Avant d’être abattu, il s’était marié à une guerrière apache nommée Salvaje. Le fruit de leur amour est un jeune garçon nommé Chato. Quand commence ce sixième tome, le lecteur se retrouve nez à nez avec Sid Beauchamps. Plutôt vicieux et revanchard, l’ami d’enfance du héros finit par capturer tout le monde, Jonas Crow compris, et revient victorieux à Tucson, bien décidé à en finir…

Longtemps je me suis interdit de me lancer dans un western en BD. Sans doute, je ne voulais pas souffrir la comparaison avec Gir, que je considère comme un « maître ».

Ralph Meyer

Depuis l’enfance, le dessinateur Ralph Meyer est un grand fan de Jean Giraud. L’auteur de la trilogie Berceuse assassine l’avoue sans fausse honte : «Je ne cache pas ma filiation avec Jean Giraud, le créateur de la série Blueberry. Longtemps je me suis interdit de me lancer dans un western en BD. Sans doute, je ne voulais pas souffrir la comparaison avec Gir, que je considère comme un «maître». Et puis, un jour, un ami m’a raconté que Gir avait mis une dizaine d’albums à se défaire de l’influence de Jijé son mentor, qui -lui aussi- était un grand auteur de western en BD, notamment avec Jerry Spring. Cela m’a décoincé! Et j’ai accepté de franchir le pas. C’était en 2014. C’est à ce moment-là que j’ai commencé la série Undertaker, avec Xavier Dorison.. Cette fois, je dessinais vraiment un western en BD.»


LE CAS BD :

Ralph Meyer : «Selon moi, une bonne planche d’action doit véhiculer une information par case, sinon on perd en rythme et en efficacité.» © éditions Dargaud

La planche 32 est l’une des plus belles pages d’action de l’album.

Chucho, le Mexicain a l’air ravi… © éditions Dargaud

«Dans cette planche d’action pure, Jonas Crow reprend la main, et c’est assez libérateur pour les lecteurs, explique le dessinateur Ralph Meyer. Dans la première case, je mets en place un gros plan du Mexicain Chucho, ravi d’être là. Sur son visage, on devine qu’il se réjouit à l’avance de faire du mal à Salvaje, la guerrière apache qu’il a capturé.»

Ralph Meyer : «Je n’ai pas voulu dessiner frontalement la main de l’héroïne plongée dans le foyer…» © éditions Dargaud

Sur la deuxième case, on prend du champ et l’on découvre l’endroit où va avoir lieu la séquence de torture de l’indienne: la passerelle de commande d’une locomotive lancée à pleine vitesse. Dans la troisième case, on se rapproche du poste de commande de la locomotive. Les méchants ont ouvert la chaudière et s’apprêtent à plonger la deuxième main de Salvaje dans le feu.

«Ici, on est tout de suite au cœur de l’action, analyse Ralph Meyer. Je n’ai pas voulu dessiner frontalement la main de l’héroïne plongée dans le foyer irradiant de la chaudière. Le plus efficace pour l’imagination, c’est de dessiner l’instant qui précède. Se faire brûler une partie du corps est une expérience que l’on a tous vécu à divers degrés. Les lecteurs pressentent déjà la douleur qui va arriver. Je trouve cela beaucoup plus fort…»

La fameuse séquence finale d’visage d’ange dans le tome des aventures de Blueberry, signé Charlier et Giraud. © éditions Dargaud

C’est ici précisément que l’on remarque quelques similitudes avec un album classique de Blueberry, visage d’ange, dont l’action finale se déroule exactement dans la cabine d’une locomotive roulant à tombeau ouvert. Le personnage d’Angel Face est défiguré par Blueberry qui lui envoie la tête dans la chaudière… «Bien sûr, la référence est évidente pour moi, confie Ralph Meyer. Même si je sais que Xavier Dorison n’a pas lu Blueberry et qu’il est «vierge« de ce côté-là. (Rires). En tout cas, pour moi, la séquence finale d’visage d’ange est un passage obligé du genre. Une séquence mythique à laquelle je fais discrètement référence dans cette planche. Bien sûr, elle m’est immédiatement revenue à l’esprit lorsque j’ai reçu les pages du scénario de Xavier pour cette planche…»

En même temps, le suspense est à son comble…

Le héros surgit tel Zorro pour sauver l’héroïne des griffes des méchants… © éditions Dargaud

Soudain, à la case 4, une balle transperce la tempe d’un des hommes de main. À la case suivante, surgit en contre-plongée la silhouette du héros Jonas Crow portant une carabine dans les mains.

«Ici, le personnage de l’Undertaker surgit un peu comme Zorro, s’amuse le dessinateur. Crow est un héros sombre, taraudé par un passé douloureux. C’est un personnage misanthrope, complexe habité par ses démons. Mais il possède des valeurs morales, ce qui le conduit à se comporter parfois de manière héroïque. C’est ce qui arrive ici.»

L’avant-dernière case est l’occasion d’un gros plan sur le visage du héros. «Ici, outre le raccourci sur la Winchester, j’ai particulièrement soigné le regard de l’Undertaker, reconnaît le dessinateur. Jonas Crow a un regard d’acier, perçant, déterminé. Il a repris l’avantage.»

Le regard d’acier du héros… © éditions Dargaud

Quant à la dernière case, «c’est l’exemple typique d’un fin de planche à la Tintin, conclut Ralph Meyer. Dans toute sa pureté, comme le faisait Hergé, nous avons créé avec Xavier Dorison un suspense à la fin de la page pour obliger le lecteur à poursuivre sa lecture… C’est exactement ça que je fais ici!»

Le suspense final qui oblige le lecteur à poursuivre sa lecture sur la page suivante. © éditions Dargaud

Undertaker, Take 6 Wild, de Ralph Meyer, Xavier Dorison, et Caroline Delabie, 63p., aux éditions Dargaud. 9,99 €.

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