L’esprit libre de Wolinski habite les murs des Beaux-Arts de Paris


L’institution parisienne expose, jusqu’au 3 octobre, les 41 dessins offerts par la famille du dessinateur assassiné en 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Une plongée dans le travail exigeant au service d’une éternelle irrévérence.

«Je veux que l’œuvre de mon mari soit vue, publiée, exposée… vivante». Les propos de Maryse Wolinski traduisent là toute l’ambition de la veuve du dessinateur assassiné en 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Elle a cédé 41 dessins, aux Beaux-Arts de Paris, exposés jusqu’au 3 octobre. Le satiriste rejoint ainsi la prestigieuse collection du Cabinet des dessins Jean Bonna où, cela l’aurait sans doute fait rire, son œuvre côtoie celle des maîtres Léonard de Vinci, Raphaël, Rubens ou Poussin !

«Aujourd’hui, voir ces 41 dessins entre les murs des Beaux-Arts, qui vont nourrir l’inspiration de nos jeunes étudiants est le plus bel hommage qu’on pouvait lui faire. Il aurait été très heureux», a exprimé Emmanuelle Brugerolles, co-commissaire de l’exposition, lors de la visite de presse effectuée la veille de son ouverture au public. Rappelant que Wolinski avait fréquenté, en 1956, l’institution avant d’être mobilisé pour la guerre d’Algérie.

La sélection judicieuse des dessins offerts révèle l’évolution d’un parcours traversé, certes par un humour truculent, mais aussi par une dimension poétique et des interrogations métaphysiques. «Comment beaucoup de gens de l’Est, Georges était un grand mélancolique», confie sa veuve. Guide incomparable de la visite, elle souligne le grand soin que son mari apportait à ses dessins. Elle évoque une pratique quotidienne assidue, marquée par les matinées dédiées à la lecture de journaux pour trouver l’idée avant de se lancer dans la réalisation de dessins qui s’insinueront dans les colonnes des journaux satiriques.

«Allons enfants» (1965) publié dans Hara-Kiri en 1965, est un rare témoignage du style de Wolinski à ses débuts. Beaux-Arts de Paris

Le dessin intitulé «Allons enfants…» qui ouvre l’exposition est sans doute la plus belle illustration du travailleur exigeant qu’il était. Un témoignage rare de son style, à ses débuts. Publié en 1965 dans les pages de Hara-kiri, ce pastiche d’une sculpture de François Rude, fourmille de détails et de références aux plus grands, parmi lesquels Gustave Doré ou Albert Dubout. Saturation de l’espace, multitude de slogans en lien avec l’actualité de l’époque inscrits sur les murs, cohorte de manifestants vociférants, le dessinateur exhibe une appétence à ses débuts pour le détail. Il ne craint pas d’en surcharger ses dessins.

Assez vite, sur les conseils de Cavanna, cofondateur avec le Professeur Choron du mensuel satirique, le dessinateur abandonne foisonnement pour une ligne épurée plus proche de Sempé. Plus rapides et percutantes, ces réalisations représentent le plus souvent des petits personnages dans un paysage minimaliste accompagné d’aphorismes ou de réflexions parfois métaphysiques que le lecteur doit déchiffrer.

Ces croquis que le dessinateur griffonne lors des conférences de rédaction de Hara-kiri exhibent un dépouillement graphique avec des réflexions parfois métaphysiques. Répète le si t’es une fleur (1969)/ Beaux-Arts de Paris

Le parcours confronte le visiteur à une quinzaine de feuillets plus sulfureux issus de la série «Le droit de…» publiée, en 2002, dans l’ouvrage Les Droits de l’homme et de la femme, qui mettent en lumière son travail autour des femmes. Leurs courbes généreuses sont mises en scène dans des attitudes frivoles et provocantes, où de brefs commentaires déploient le brillant sens de la formule de l’artiste, représentations qui lui «assurent à la fois un immense succès et une réputation de phallocrate, de machiste et de misogyne», peut-on lire dans le catalogue édité pour l’occasion. Outre la provocation, ces dessins montrent aussi le passage du dessinateur du noir et blanc à la couleur, une liberté et une insouciance «qui ne serait plus possible aujourd’hui, surtout après #MeeToo», assène Maryse Wolinski. «J’attends de voir les réactions des étudiants», ajoute non sans humour Emmanuelle Brugerolles.

Ces dessins composent des saynètes animées de brefs commentaires où brille le sens de la formule de Wolinski. Beaux-Arts de Paris

De l’autodérision, l’Académie n’en manque pas, quand l’exposition se clôt sur une série de dessins raillant allègrement l’art contemporain. Arman, Jeff Koons, Boltanski passent par le prisme d’un regard sévère et font l’objet de violentes diatribes. Finie l’économie de textes, là, Wolinski, bien plus prolixe, lâche un flot d’humour grinçant. Sans toutefois oublier de manier l’autodérision, n’hésitant pas, pour couronner ses commentaires impertinents, à se considérer comme «un vieux con». Vieux con, dont l’esprit de résistance imprégnera, à n’en pas douter, l’esprit des étudiants des Beaux-Arts de Paris.

«Dans Libé, sept pages! De bavardages et de photos sans intérêt, consacrées à Boltanski. Ses œuvres sont tristement contemporaines, d’énormes tas de vêtements d’occasion, des boîtes à biscuits…». Extrait de ce que l’on peut lire sur ce dessin dédié à l’art contemporain. Beaux-Arts de Paris

Georges Wolinski, jusqu’au 3 octobre, Beaux-Arts de Paris, cabinet de dessins Jean-Bonna, 14 rue Bonaparte Paris 6e.

Catalogue de l’exposition, sous la direction d’Emmanuelle Brugerolles, préfacé par Philippe Lançon. 20 euros.

À voir aussi –L’émouvant hommage de l’acteur Georges Beller à Wolinski

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