Versailles expose ses plus belles acquisitions de dessins


EXPOSITION – Le château présente jusqu’au 3 octobre une sélection des œuvres qui ont rejoint ses collections au cours des vingt dernières années. Un buffet pour paysagistes, architectes en herbes et dévots du dessin.

Qui ne connaît pas Versailles, son château, ses galeries et son immense jardin royal croisé de bosquets inspirés et d’ingénieuses fontaines ? Certainement pas ses visiteurs, qui étaient plus de 8 millions à parcourir annuellement, avant la pandémie, l’ancienne résidence royale. Combien savent que Versailles abrite également un remarquable cabinet des arts graphiques ? Confidentiel – et inaccessible au public en dehors des expositions -, ce trésor de feuilles rares et d’œuvres fragiles est présenté depuis le début de l’été, et jusqu’au 3 octobre, avec ses plus belles acquisitions récentes. Du faste royal aux perpétuelles mutations palatiales, près de quatre siècles y défilent à la rencontre du public contemporain.

Installée dans les anciens appartements de Madame de Maintenon, au milieu de ce qu’on appelle de nos jours les salles de l’Empire, l’exposition met en valeur les plus belles pièces à avoir rejoint le cabinet des arts graphiques depuis le début des années 2000. La date n’a pas été choisie au hasard : elle correspond à la première nomination d’un conservateur dédié à la tête de la collection. Sur place, la mise en lumière de ces acquisitions n’éclaire qu’une demi-pénombre. Le jour tamisé de ces appartements d’exposition, bien plus calmes que l’agitation éternelle des salons voisins, est propre à faire jaillir des murs les nombreuses palettes teintées de gouache, de pastel, de pierre noire et de sanguine. Cette atmosphère de quiétude se prête à merveille au tête-à-tête avec les figures de la Cour saisies au vif, à la découverte d’études fulgurantes préparées pour les décors peints du palais, et à la contemplation tranquille des arborescences de planches architecturales.

François Lemoyne (1688-1737), Étude de tête pour l’Amour de la Vertu dans l’Apothéose d’Hercule, vers 1733, pastel, trois crayons et estompe sur papier anciennement bleu. RMN-GP (Château de Versailles)/Franck Raux

Versailles tel qu’on ne l’a jamais vu

Le trait commun de toutes ces acquisitions hétéroclites et disparates est d’une limpidité simple et rayonnante : il s’agit de Versailles, tant le château que la synecdoque curiale. La résidence royale est livrée à l’admiration sous une Crumpa d’angles, des plans les plus convenus aux angles les plus osés, à travers de nombreux croquis croquants ses jardins, d’une foison de dessins dépeignant ses façades et d’une cascade de plans rigoureux, signés pour certains d’étrangers avides de reproduire en leur pays le beau système d’André Le Nôtre. L’Album des plans et vues du Petit-Trianon de Marie-Antoinette s’y trouve particulièrement mis en valeur, son inaccessible contenu évoqué par un petit dispositif vidéo et quelques planches. Classé Trésor national, il a été acquis en 2015.

Richard Mique et Claude-Louis Châtelet, Album des plans et vues de Trianon aux armes de Marie-Antoinette RMN-GP (Château de Versailles)/Franck Raux

Outre les reproductions fidèles du palais qu’on connaît, les regards s’arrêtent avec plaisir devant quelques curiosités et audaces, des projections d’un Versailles tel qu’on ne l’a jamais vu, ou trop peu. Un Versailles de ruche à carrosses par-ci, un Versailles prospectif et en vue d’oiseau par là. Une section du parcours revient sur les nombreux projets d’aménagements proposés ou avortés, dont une gaillarde colonnade semi-circulaire – façon Saint-Pierre de Rome – imaginée par Marie Joseph Peyre (1730-1785), pour la cour d’honneur. Sur une autre cimaise, la silhouette saugrenue de l’éphémère caserne des gardes françaises surprend : l’encre et aquarelle anonyme de 1780 présente une bâtisse toute recouverte d’un immense coutil à la manière d’une tente monumentale. Aujourd’hui disparu, l’édifice se tenait sur la place d’Armes.

Anonyme, La Caserne des Gardes françaises sur la place d’Armes du château de Versailles, construite par Louis François Trouard, vers 1780, encre et aquarelle sur papier, H. 12,8 ; L. 28,2 cm Château de Versailles/C. Fouin

Le cœur de l’exposition entraîne ses spectateurs à la découverte d’un château en cours de métamorphose, avec une série de merveilleux dessins préparatoires aux décors palatiaux. Miracle de précision et de volupté, l’étude de La Tête de l’Amour de la Vertu de François Lemoyne (1688-1737) – qui sert de frontispice de l’exposition -, surgit à l’orée d’une salle. Ce petit pastel, aux trois crayons et à l’estompe, réalisé vers 1733 pour le plafond apothéotique du salon d’Hercule a été préempté l’année dernière par le musée de Versailles. Tout ne tourne pas, pour autant, qu’autour des XVIIe et XVIIIe siècles, comme peuvent en témoigner une étude d’Horace Vernet (1789-1863) pour sa Bataille d’Isly – exposée dans la salle du Maroc – ou l’œuvre qui clôture le parcours, un pastel éblouissant de Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953), entre ivresse de nacre et coulis vert de mai.

Anonyme, Lavandières à la pièce d’eau des Suisses, devant l’Orangerie du château de Versailles, vers 1780-1790 encre brune, H. 14 ; L. 19,5 cm Château de Versailles/ C. Fouin

Au bout du compte, entre les évocations profuses d’architectures et de jardins, sans compter les alignements de miniatures, d’allégories et de portraits achevés ou inaboutis, l’exposition ne fascine jamais autant qu’au détour de ses quelques joyaux de cocasserie. La surprise vient à l’exemple d’un dessin anonyme à l’encre brune. Saisie à la veille de la Révolution, elle représente une scène triviale : des lavandières au travail dans la pièce d’eau des Suisses, près de l’Orangerie, devant la masse surplombante, orgueilleuse et lointaine du château, cet autre monde. Une succulente petite caricature signée, vers 1747, du Dauphin de Louis XV en personne forme une autre de ces réjouissances picturales insoupçonnées. Figurant le profil austère et busqué d’un fâcheux Franciscain, le dessin représenterait en réalité la duchesse de Brancas, laideronne réputée et dame d’honneur de Marie-Thérèse d’Espagne, la première épouse du jeune Louis. À Versailles même, les passions torses l’emportent parfois sur la noblesse des pierres.

«Dessins pour Versailles, Vingt ans d’acquisitions», au château de Versailles (78), jusqu’au 3 octobre. Catalogue sous la direction d’Élisabeth Maisonnier, 376 pages, 45€.

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