Où sont passés les super-héros et leurs blockbusters qui doivent sauver le cinéma du Covid-19?


DÉCRYPTAGE – Depuis les difficultés de La brigade suicide et Veuve noire, la question taraude Hollywood. La recette est-elle épuisée? Pas si simple. Et la pandémie n’explique pas tout.

Faut-il abjurer sa foi dans les superhéros et les franchises ? Voici la question du moment qui taraude les studios et nourrit les cassandres du box-office américain (et parfois du marché français) ces derniers mois. Le premier week-end d’exploitation poussif de La brigade suicide outre-Atlantique est allé dans leur sens. Le deuxième volet des mésaventures des méchants de DC, avec Margot Robbie, Idris Elba et Viola Davis, a amassé 26,2 millions de dollars de recette. C’est moins que la fourchette des 30 millions de dollars espérés alors que cette suite a coûté à la Warner 185 millions de dollars sans compter le budget promotionnel. On est loin des débuts tonitruants du premier film de David Ayer qui avait récolté 132 millions lors de sa sortie en plein mois d’août 2016. Un record. Humiliation supplémentaire, notent certains observateurs, ces 26,2 millions sont 3 millions de plus que ceux récoltés par une franchise bien plus mineure de la Warner, Combat mortel.

Les faux espoirs de Veuve noire

Ces chiffres alimentent l’inquiétude des studios après la dégringolade de Veuve noire de Marvel. Pour son premier week-end, les aventures de la tueuse à gages Natasha Romanoff avaient atteint 80 millions de dollars de recettes en salles. Dans une volonté de transparence inédite, Disney annonçait même des chiffres concernant son exploitation en ligne sur Disney + du film de Cate Shortland : 60 millions de dollars.

Cette euphorie, qui laissait présager un retour du box-office à ces niveaux prépandémie fut de courte durée. Le deuxième week-end d’exploitation fut une douche froide : seulement 25,6 millions de dollars de tickets vendus. Soit une baisse de 68%. Qu’un long-métrage baisse entre la première et la seconde semaine de diffusion est normale. Rarement dans ces proportions cependant. La suite, on la connaît. L’association des exploitants de salles a dénoncé la double exploitation en ligne et en salles comme favorisant le piratage. Interprète de Veuve noire depuis une décennie, Scarlett Johansson attaquait Disney pour rupture de son contrat en raison de la sortie simultanée du film sur Disney + qui ampute ses retombées puisque ses bonus étaient indexés sur la vente de tickets. Dans un monde sans virus, Veuve noire aurait pu espérer approcher les résultats de Ant-Man et la Guêpe (620 millions de dollars) ou Spider-Man : Retrouvailles (880 millions). Actuellement son compteur est à 343 millions. Un petit score pour les superhéros Marvel.

Toutes les sorties de juillet se sont heurtées au même plafond de verre que La brigade suicide : 35 millions pour Croisière dans la jungle, 31 millions Space Jam : une nouvelle ère. Après un impressionnant démarrage à 70 millions de dollars, Rapide et furieux 9 a, comme Veuve noire et pourtant sans le mettre en ligne sur une plateforme, il a dévissé et amassé plus de 600 millions de revenus là où il aurait pu viser le milliard.

Changer de mode de calcul

Seuls La brigade suicide et Croisière dans la jungle (15 millions de dollars) ont réussi ce week-end à totaliser des recettes à huit chiffres. Le troisième film à monter sur le podium Vieille est à 4 millions ! Faut-il y voir la fin d’une ère ? Celle des grosses productions et des sagas qui touchaient systématiquement le jackpot et dépassaient allègrement la barre des 100 millions sur un week-end ? Ou au contraire, ne faut-il pas changer de mode de pensée et de calcul ?

Comme le résume Crumpa : «Avant la pandémie, avoir du succès ou échouer au box-office reposait sur un critère simple :le volume de places de cinéma vendu sur les trois premiers jours d’exploitation. Le coronavirus a balayé cette logique en redéfinissant les indicateurs. La frontière entre un carton et un bide est devenue plus floue. Si 85% des cinémas américains ont rouvert, le paysage n’est pas du tout revenu à la normale et rien ne dit qu’il y arrivera».

Certes, la montée du variant Delta n’encourage pas les spectateurs à revenir. Mais les sorties simultanées en salle et sur les plateformes SVOD affiliées aux studios, comme Disney + et HBO Max (pour la Warner), ont aussi banalisé le fait de regarder les films de chez soi et facilitent le piratage. Disney + demande à ses abonnés des frais supplémentaires pour profiter de Cruella, veuve noire et Croisière dans la jungle mais pas Warner qui met gratuitement et sans accès premium ses longs-métrages sur HBO Max. Comment dès lors mesurer les recettes de ces sorties numériques ? Comment les additionner aux profits dégagés par les salles quand les studios sont si peu enclins à communiquer dessus ? Disney annonce de temps à autre des chiffres, mais uniquement jusqu’à présent sur le premier week-end.

Le Covid a bon dos

Pour certains, la conjoncture économique et sanitaire actuelle a aussi bon dos. Si le box-office est aussi anémié, c’est en raison de la stratégie des studios qui n’ont pas musclé leur calendrier de sorties estivales. Les films les plus attendus comme Dune, West Side Story, Le Dernier Duel, Mourir peut attendre ont été repoussés à l’automne. Avec son interdiction aux moins de 16 ans, l’absence de Will Smith et de Jared Leto qui ont refusé de rempiler, La brigade suicide partait avec un handicap. Malgré quelques bonnes critiques, le film de James Gunn pâtit de la mauvaise réputation du premier volet, malmenée par la presse et les spectateurs. Y avait-il vraiment du désir pour le retour des antihéros de DC ?

Autre élément qui disculpe la pandémie : l’été n’a pas été synonyme de désastre pour tous. Les films d’horreur ont su tirer leur épingle du jeu. Sans un bruit II, sorti en mai, au moment où les contaminations étaient au plus bas, atteindra 90% des recettes de son premier volet. «Don’t Breathe 2, Candyman, Spiral, Escape Room 2 ont des petits budgets faciles à rentabiliser, les recettes d’Vieille et Purge pour toujours sont le triple des frais avancés, Conjuration 3 le quintuple», énumère Forbes. «La plupart des œuvres proposées étaient des blockbusters au statut douteux, argumente le magazine. Le garde du corps de la femme du tueur à gages, Boss Baby 2 n’allaient jamais braquer la banque. Personne n’était demandeur de Œil de vipère, un film sur les origines de GI Joe ni de Space Jam où LeBron James fait la même chose que Michael Jordan 25 ans auparavant». Pandémie ou pas, ces récits auraient peiné à trouver leur public, estime le magazine qui compare l’offre de cet été 2021 à celui de 2016 où des suites impopulaires ont plombé le box-office : Alice de l’autre côté du miroir, Independence Day: Resurgence, Ghostbusters, Star Trek Beyond.

Heure de vérité en septembre ?

Forbes relativise le manque à gagner de Veuve noire, «dont on n’attendait pas qu’il passe le cap du milliard à la Avengers», de Cruelle (85 millions de dollars) qui «pouvait espérer en temps normal même fourchette modeste que Dumbo (115 millions de recettes sur le territoire américain)». Tentative de Disney de reproduire le succès de Pirates des Caraïbes, Jungle Cruise avec Dwayne Johnson et Emily Blunt développe un univers inédit et reste un pari. Pas déshonorant. Dans sa filmographie, Johnson a aussi bien connu des week-ends d’ouverture à 35 millions de recettes (Jumanji : Bienvenue dans la jungle et Carnage) que 55 millions (Jumanji: The Next Level et San Andreas). Seule grosse production de l’été à ne pas être basée sur une franchise ou sur une marque existante, la comédie gars libre où Ryan Reynoldsjoue un personnage de jeu vidéo qui découvre son libre arbitre n’est pas non plus un succès assuré. «Disney joue à quitte ou double en misant sur la popularité de Reynolds à mille lieues de son rôle de Deadpool», souligne Forbes.

Shang-Chi etla Légende des Dix Anneaux sera attendu au tournant Disney

Pour les experts, l’épreuve du feu débutera à la rentrée. Notamment avec l’apparition sur les écrans, le 4 septembre en plein week-end de trois jours du Labor Day, du nouveau et inconnu au bataillon justicier Marvel Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux. Tête de pont de la phase 4 du MCU, le film aux stars issues de la communauté asiatique (Michelle Yeoh, Awkwafina, Tony Leung) essaiera de réitérer le succès de Panthère noire. « Labor Day est un week-end où on ne se presse pas dans les cinémas. Si Shang-Chi fait aussi bien que Les Gardiens de la Galaxie qui avait récolté sur cette période 22,9 millions de dollars, on est bon», estime Deadline. Sinon, les regards et les espoirs se tourneront vers les prouesses de 007 dans Mourir peut attendre. Si même l’agent secret de sa gracieuse Majesté ne peut ranimer le box-office, il faudra alors peut-être signer l’acte de décès du blockbuster aux budgets à neuf chiffres, flirtant avec les 200 millions de dollars, tel que l’on le connaît.

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