La fondation du Machu Picchu est plus ancienne que ne l’estiment les archives des conquistadors


ARCHÉOLOGIE – La datation au carbone 14 révèle une présence humaine sur le site vingt ans avant la datation classique. Le règne de l’empereur Pachacútec s’en verrait allongé d’autant.

Nichée dans les Andes, à plus de 2400 mètres, la citadelle péruvienne du Machu Picchu ne se dévoile aux yeux des mortels qu’après l’ascension de près de 1600 marches. Ce complexe palatial baigné dans les nuages a longtemps suscité nombre d’interrogations d’ordre architecturales sur le moyen d’acheminement des blocs à une époque où la roue était inconnue des Incas, ainsi que sur les techniques de construction. Mais peu d’attention avait été accordée à sa chronologie. Or comme l’a découvert une équipe d’archéologues et d’anthropologues américains qui ont daté par carbone 14 plusieurs vestiges du site, le Machu Picchu pourrait en réalité être d’une vingtaine d’années plus ancien. Une différence qui pourrait bien, à terme, amener les spécialistes à revoir tout un pan de la chronologie inca du début du XVe siècle.

«Jusqu’à présent, les estimations sur l’ancienneté et l’occupation du Machu Picchu ne reposaient que sur des sources historiques contradictoires rédigées par des Espagnols dans la période qui a suivi la conquête», a expliqué dans un communiqué de l’université de Yale l’archéologue Richard Burger, qui a dirigé l’étude publiée en août dans la revue scientifique Antiquité . Des documents du XVIe siècle avaient ainsi été mobilisés en 1945 par l’historien américain John Howland Rowe pour arrêter la chronologie qui fait encore aujourd’hui référence pour cette période historique avare en sources historiques fiables. D’après sa datation, l’édification du palais fortifié du Machu Picchu remonterait au règne de l’empereur Pachacútec, à partir de 1438. Une date qui serait donc à revoir, à l’aune de l’élunergissement du champ de l’archéologie précolombienne. «Ce n’est que depuis peu que les découvertes archéologiques, la datation au carbone 14 ainsi que d’autres techniques contribuent, enrichissent ou modifient notre compréhension des sociétés précolombiennes», a précisé au Gardien l’historienne Gabriela Ramos, de l’université de Cambridge.

La citadelle palatiale inca du Machu Picchu est l’un des sites touristiques les plus visités du Pérou. Images Imago/Bridgeman

Une datation décisive au carbone 14

En l’occurrence, l’équipe scientifique américaine a passé au peigne fin 26 différents restes humains extraits des quatre différents sites funéraires identifiés au Machu Picchu. Cet échantillon, qui représente près du quart des individus découverts sur le site, a présenté aux chercheurs une fourchette chronologie inattendue après analyse au carbone 14 : d’après leurs résultats, le Machu Picchu aurait ainsi été occupé, sans discontinuer, de 1420 à 1530. Soit 20 ans plus tôt que la date de référence établie au siècle passé par John Howland Rowe. Les plus anciens individus étaient-ils des ouvriers occupés au chantier du palais ? Sans doute pas, d’après les archéologues américains. «Les ossements étudiés ne gardent aucune des traces typiques que l’on retrouve chez les individus qui ont eu une activité physique intense, expliquent les scientifiques dans leur étude. Or il est probable que la main-d’œuvre employée pour la construction du domaine a été fournie par une population rurale plutôt que par des domestiques». La présence de serviteurs et de familiers – indispensable à l’entretien et au fonctionnement de ce vaste palais d’hiver précolombien – attesterait par conséquent d’une mise en activité précoce du Machu Picchu. Et modifierait, par extension, la chronologie traditionnelle de l’accession au pouvoir de l’empereur Pachacútec.

«C’est la première fois que des preuves scientifiques nous fournissent une estimation de la date de fondation du Machu Picchu et de la durée de son occupation, ce qui nous donne une idée plus précise des origines et de l’histoire du site», s’est réjoui Richard Burger. Mieux encore, la découverte s’accorderait avec plusieurs autres études radiocarbones menées ces dix dernières années dans la région de Cuzco – la bouillonnante et cosmopolite capitale de l’empire inca située à quelque 75 kilomètres du Machu Picchu -, dont les conclusions plaident également pour situer le début de règne de Pachacútec autour de 1420 plutôt que 1438. «Ces résultats suggèrent que les recherches qui ne se basent que sur les archives de l’époque coloniales pour travailler sur le développement de l’empire inca doivent être révisées», résume Richard Burger.

Aussi indigentes soient-elles, les sources historiques espagnoles sur les Incas ne sont pas pour autant à mésestimer, comme a quand même tenu à rappeler Gabriela Ramos.«Si l’on ne comprend pas les principes qui articulent la politique et la religion des Incas, ainsi que les relations qu’ils entretenaient avec les populations conquises et alliées – qui sont toutes décrites dans les sources écrites – alors l’archéologie ne serait plus d’une grande utilité, car il deviendrait trop difficile pour les chercheurs d’interpréter et de contextualiser leurs découvertes.» Abandonné peu de temps après l’irruption des conquistadors, dans les années 1530, le Machu Picchu tombe dans l’oubli, jusqu’à sa «redécouverte» médiatique, en 1911, par Hiram Bingham. Plutôt que de suivre les pas imprécis des conquistadors, l’explorateur américain avait tout simplement prêté une oreille attentive aux histoires des habitants locaux. D’aucuns diraient qu’il fut le premier touriste du site, classé en 1983 au patrimoine mondial de l’Unesco.

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