Kaija Saariaho: «Innocence est un thriller»


INTERVIEW – La compositrice finlandaise détaille l’ambition de sa dernière œuvre qui sera enfin créée au Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence.

LE FIGARO. – Quel souvenir gardez-vous de l’année dernière, lorsque les répétitions de votre opéra Innocence avaient lieu alors que l’on savait que le festival serait annulé pour cause de pandémie?

Kaija SAARIAHO. – C’était une expérience étrange mais précieuse. Je suis très reconnaissante au festival d’avoir maintenu ces séances, car cela m’a permis de me rassurer. S’agissant d’une œuvre aussi complexe, il est important de pouvoir vérifier que tout fonctionne, que l’on n’a pas laissé d’erreurs ou de détails à corriger.

Quel rapport entre Innocence et La Cène de Léonard de Vinci, qui représente le dernier repas de Jésus et des apôtres?

Ce tableau m’intrigue depuis aussi loin que remontent mes souvenirs. Ce qui est admirable dans sa composition, c’est la manière de présenter ces treize personnages dont on connaît bien l’histoire. On peut voir comment chacun a vécu ce moment, le rôle qu’il y a joué. Et cela me fait penser que quand vous demandez à plusieurs personnes leur perception d’un événement, quelle trace il a laissé en eux, en quoi il a changé leur vie, vous obtenez des réponses très différentes. Cela m’a fourni le point de départ.

Avez-vous conservé la dimension théologique dans votre opéra?

Non, j’ai surtout gardé l’idée de culpabilité, et aussi le nombre de treize personnages, mais j’ai imaginé avec la librettiste Sofi Oksanen une situation tout à fait autre. Un événement dramatique que les personnages ont vécu et que le spectateur ne connaît pas quand l’opéra commence. C’est un peu comme un thriller dont on ne comprend pas tout de suite les connexions, et qui se construit peu à peu comme les pièces d’un puzzle. En fait, il y a deux histoires parallèles, mais je préfère vous laisser découvrir.

L’influence de la langue sur l’écriture musicale est quelque chose qui me passionne

Kaija Saariaho

Ai-je bien compris qu’Innocence sera chanté en plusieurs langues?

C’est même l’idée de départ. Je cherchais depuis longtemps une occasion pour utiliser plusieurs langues dans un opéra, car l’influence de la langue sur l’écriture musicale est quelque chose qui me passionne. Dans Innocence, il y a treize personnages et neuf langues. Aleksi Barrière s’est vite joint à nous comme dramaturge et traducteur. C’est lui qui a traduit le texte en plusieurs langues, avec pour principale l’anglais, car Sofi Oksanen écrit toujours en finnois.

Connaissiez-vous les neuf langues dans lesquelles vous avez composé?

Pas du tout, et j’espérais les parler toutes après avoir terminé mon opéra, mais à mon grand regret cela ne s’est pas produit! Ce fut un énorme travail d’assimiler les intonations, les accents, la couleur de chaque langue, afin que chaque personnage soit caractérisé, non seulement par l’orchestration mais aussi par son écriture vocale. D’autant que sur les treize interprètes, certains sont chanteurs lyriques mais il y a aussi une chanteuse folklorique et des acteurs, ce qui multiplie les types d’énonciation. J’ai été ambitieuse dans mes désirs, c’est pourquoi ce projet m’a pris sept ans en tout, dont trois pour la composition.

Nous discutons sur chaque page de la partition, mais une fois que le chef dirige, c’est son interprétation

Kaija Saariaho

En travaillant à d’autres œuvres en même temps?

Non, j’en suis incapable. Je planifie toujours mon travail longtemps à l’avance car je ne peux faire qu’une chose à la fois.

Comment collaborez-vous avec chef et metteur en scène?

Je laisse les mains libres au metteur en scène: chacun son métier, je n’ai pas l’ambition de Wagner ou Stockhausen qui voulaient tout contrôler! Simon Stone est un artiste passionné, très investi dans son travail et je lui fais toute confiance. Quant au chef, c’est un échange permanent avec Susanna Mälkki, sur les épaules de qui repose la création mondiale, mais aussi avec Clément Mao-Takacs, qui dirigera les reprises dans d’autres villes. Nous discutons sur chaque page de la partition, mais une fois que le chef dirige, c’est son interprétation.

Les 3, 6, 10, 12 juillet à 20 heures au Grand Théâtre de Provence.

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