Une insolite pétition presse Jeff Bezos d’acheter La Joconde et de la manger


Plus de 7000 internautes souhaitent que l’homme le plus riche du monde fasse bonne chère de l’inestimable tableau conservé au Louvre.

Qu’est-ce que l’extrême richesse ? À l’époque romaine, Pétrone dépeint dans son Satyricon les agapes orgiaques fictives de Trimalcion, richissime esclave affranchi qui se goberge avec ses invités, dans un festin d’apparat, d’une succession de plats extraordinaires, de viandes d’exception, de hors-d’œuvre raffinés, de montagnes de volaille, de cochonnaille, de charcuteries en tout genre ainsi que de pâtisseries en cascade. Quelque deux millénaires plus tard, voici qu’une pétition circule en ligne frappée d’un vœu pour le moins singulier : que l’homme le plus riche du monde entre en possession du tableau le plus célèbre du monde. Et le mange. Une agape de la démesure, aussi somptuaire qu’incongrue, qui n’aurait pas dénoté dans l’antique roman latin.

Le texte désigne le milliardaire américain Jeff Bezos, fondateur et président d’Amazon. Quant à l’œuvre, il s’agit ni plus ni moins de l’inestimable Joconde dont, rappelons-le, le Louvre n’a pas l’intention de se séparer. Qu’importe. La pétition déjà signée par près de 7000 personnes sur la plateforme change.org ne s’épanche pas sur les raisons profondes qui ont pu motiver cette demande saugrenue. À défaut d’un manifeste sur le caractère éphémère de l’art, d’un essai politico-financier sur l’accumulation obscène de la richesse, d’un poème mystique sur les mystères de l’eucharistie ou, encore, d’une réflexion sur ce qu’un tel geste pourrait dire en matière de consommation culturelle, seul un laconique message permet d’apercevoir le fond de l’idée défendue par la pétition. «Personne n’a mangé Mona Lisa et nous pensons que Jeff Bezos doit prendre position sur ce sujet et faire en sorte que cela arrive», avance-t-elle en toute sobriété.

L’acheter, mais pour quoi faire ?

Mise en ligne dès l’année dernière par un internaute identifié sous le nom de Kane Powell, ce n’est qu’au cours de ces derniers jours que la pétition, intitulée «We want Jeff Bezos to buy and eat the Mona Lisa» («Nous voulons que Jeff Bezos achète et mange la Mona Lisa») a gagné en popularité. Le décollage soudain de cette obscure revendication pourrait être lié aux récentes annonces sur le vol spatial de Jeff Bezos à bord d’une capsule de sa compagnie Blue Origin, ainsi qu’aux révélations de l’enquête de Pro Publica sur les déclarations fiscales de plusieurs milliardaires américains, dont le patron d’Amazon. Deux actualités bien différentes mais qui touchent intimement à la fortune même de cet entrepreneur américain, aussi fondu d’espace que d’optimisation fiscale.

À la tête d’une richesse estimée à 193,5 milliards de dollars, selon Forbes , grâce à ses parts d’Amazon, il est en effet bien peu de chose que Jeff Bezos ne pourrait s’offrir. Alors pourquoi pas la Mona Lisa, après tout ? Le portrait achevé en 1518 par le maître italien de la Renaissance avait été évalué à 100 millions de dollars dans les années 1960, soit près de 880 millions de dollars actuels, en prenant en compte l’inflation. Un montant deux fois plus élevé que l’œuvre d’art la plus chère passée sous le marteau, le Salvator Mundi lui aussi attribué à Léonard – vendu 450 millions de dollars en 2019. Son statut iconique toujours plus grand depuis plus de 50 ans pourrait avoir encore multiplié sa valeur, comme l’avait soutenu l’an passé Stéphane Distinguin, dans une tribune publiée chez Usbek & Rica . Selon l’entrepreneur français, La Joconde vaudrait au bas mot 50 milliards de dollars aujourd’hui. «Pour l’homme le plus riche au monde, Jeff Bezos, 50 milliards, ce n’est qu’un petit tiers de sa fortune, à peine plus que le montant payé à sa femme dans le cadre son divorce récent», écrivait-il alors, en mars 2020, dans l’idée de vendre le tableau pour éponger une partie de la dette française. «Pourquoi ne pas renommer notre œuvre Mona Lisa del Giocondo-Bezos ?».

Si acheter la Joconde paraît ainsi être à portée du milliardaire et futur astronaute, la question de son ingestion – cuisinée ou à sec, c’est-à-dire à l’huile – présente à tour des questions vertigineuses. Jeff Bezos, cédant à la pétition, pourrait-il mettre en scène cette consommation de luxe, tel un Sardanapale des temps modernes ? Si le Louvre et le milliardaire restent pour l’heure muets sur cette affaire de bon ou de mauvais goût, la pétition suscite de nouveaux soutiens enthousiastes ces derniers jours sur la plateforme change.org, sur laquelle où se multiplient les commentaires pleins d’anticipation : «C’est la pétition la plus importante des temps modernes», «Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si ce n’est pas lui, qui ?», «Fini de manger les riches. Il est temps pour les riches de manger !». Gageons que le souhait partagé par les plus de 7000 signataires menace de faire chou blanc et que le géant d’Amazon mangera plus vite son chapeau au sujet de son voyage spatial plutôt que d’avaler une pareille couleuvre, dut-elle s’appeler Mona Lisa.

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