Découvertes au Rajasthan, ces lignes géantes sont-elles le fruit de l’érosion ou l’œuvre des hommes?


ARCHÉOLOGIE – Un chercheur français pense avoir identifié, grâce à Google Earth, un vaste ensemble de géoglyphes gravés au XIXe siècle dans le désert indien du Thar.

Il s’agirait de la plus large création humaine jamais attestée en Inde. Passé inaperçu depuis plusieurs siècles, un ensemble de lignes droites et de motifs en spirale tracés en plusieurs points du grand désert du Thar, au Rajasthan, pourrait-il avoir été tracé par la main de l’homme ? Créations éphémères vouées à disparaître dans les sables indiens, ces figures mystérieuses dateraient du début de l’époque coloniale britannique, estime Carlo Oetheimer, un chercheur français de Luriecq (Loire) qui a identifié ces «structures» après avoir inspecté, avec son fils, une surface désertique de près de 280 km2 dans l’ouest du Rajasthan. Pour réaliser cette vaste prospection archéologique qui, il y a un siècle encore, aurait nécessité l’envoi d’une considérable expédition scientifique, le Ligérien n’a pourtant pas bougé de France : armé d’images satellites haute résolution, il n’a fait que puiser dans le fonds d’images disponible à tout un chacun sur Google Earth. Une approche qui a déjà accouché, ces dernières années, d’autant de découvertes effectives que d’éclatants faux espoirs.

Identifiés en 2014 dans le district aride de Jaisalmer, les différents sites aux mystérieux tracés ont fait l’objet d’une véritable prospection sur le terrain en décembre 2016, à la période la plus douce de l’année. Attestées sur place, à la surface comme à hauteur de drone, les lignes claires observées pour la première fois par imagerie satellite consistent en des sillons plus ou moins érodés qui, à partir d’une certaine hauteur, semblent bel et bien donner naissance à des ensembles géométriques aux tracés aussi réguliers que variés : un quadrillage rectangulaire quasi-parfait dans un cas, une forme de dune dans un autre, ou encore une série d’entrelacs tressés de lignes serpentines. D’une allure parfois assez cohérente, ces différents ensembles forment toutefois, et tout aussi fréquemment, de simples hachures dans les sables indiens, sans rappeler alors aucun motif particulier. Les géoglyphes du désert du Rajasthan ne seraient-elles pas plutôt des structures naturelles, façonnées par les vents plutôt que par l’homme ?

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Une hypothèse à manier «avec prudence»

Carlo Oetheimer, lui, en est convaincu : au moins une partie de ces figures pourraient bel et bien avoir été tracées par les mains des habitants locaux, ou du moins leurs ancêtres. La taille monumentale des deux figures les plus prometteuses est «particulièrement impressionnante et a dû mobiliser une réflexion complexe dans leur conception et leur réalisation», avance le chercheur indépendant dans un article qui sera publié en septembre dans la revue scientifique Archaeological Research in Asia . «Des connaissances en mathématiques et en planimétrie ont nécessairement été utilisées pour réaliser ces figures». En prenant comme point de référence le niveau d’érosion de ces sillons ainsi que les stèles hindoues monolithes présentes dans la région, autour de ces «géoglyphes», le chercheur propose de voir dans cet ensemble des tracés datés du XIXe siècle. Il s’agirait selon lui de «géoglyphes uniques» à caractère sacré, «étroitement liés à leur contexte géographique et culturel», dont font partie les monolithes construits à la même époque.

Des arguments qui peinent à convaincre Amal Kar, un ancien chercheur du Central Arid Zone Research Institute. Spécialiste de désert du Thar, qu’il étudie depuis une cinquantaine d’années, le scientifique indien basé à Jodhpur estime que les sillons découverts par le Français sont de simples formations naturelles. Et pour cause : la zone étudiée par Carlo Oetheimer se situerait sur des sols assez particuliers, «au-dessus de couches grès et de schiste ferrugineux». «L’aridité extrême et la température élevée entraînent une lente translocation géochimique des minéraux pendant des siècles (…), ce qui conduit à la formation progressive de bandes alternées de concentrations de minéraux plus durs et plus doux, a-t-il expliqué dans un entretien au quotidien indien The Hindu . Avec le temps, les zones contenant des matériaux plus tendres s’érodent, et laissent les zones plus solides en surface, ce qui produit des motifs assez typiques de forme concentriques ou similaires à une boîte». Bref, ces rainures sableuses n’auraient rien de vastes géoglyphes, et tout d’un banal phénomène géologique. «L’attribution de ces caractéristiques à l’homme doit être envisagée avec prudence, si et seulement si toute autre explication naturelle est mise en échec», a par ailleurs rappelé Amal Kar. Si l’identification des longs tracés du Rajasthan à des géoglyphes du XIXe siècle ne paraît pas remporter l’adhésion du spécialiste indien, la découverte en soi de ces lignes n’est toutefois pas remise en question. Carlo Oetheimer entend désormais revenir à la charge avec de nouveaux éléments : dater des échantillons par thermoluminescence lui permettrait de préciser, voire de trancher l’hypothèse émise, espère-t-il.

Le cas des hypothétiques figures monumentales désert du Thar n’est pas la première – ni sans doute la dernière – fois où l’imagerie satellite grand public comme Google Earth a pu être mise à profit par des archéologues, qu’ils soient ou non des amateurs. En 2016, en particulier, l’annonce de la découverte par un adolescent québécois d’une cité maya avait eu beaucoup de retentissement aux quatre coins du globe avant d’être battue en brèche par les spécialistes du monde entier. À l’opposé, et dans un contexte tout à fait différent, deux archéologues avaient également découvert la même année de nouvelles structures dans la cité nabatéenne de Pétra, en Jordanie. Deux exemples qui montrent qu’en archéologie comme dans toute autre science, la qualité des outils n’est pas l’unique ressort de découvertes et des avancées de la recherche.

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