À Barcelone, une fresque anti-sida de Keith Haring menacée de destruction


L’ancienne boîte de nuit, dans laquelle l’artiste américain avait décoré un mur, sera bientôt rasée pour laisse place à une maison de retraite.

Tout avait commencé une nuit de février, en 1989. Cesar de Melero se trouvait derrière les platines dans une boîte de nuit barcelonaise, lorsqu’on l’avait informé que l’artiste Keith Haring tentait en vain de convaincre le videur de le laisser entrer. «Le lieu était bondé, donc j’ai lancé un CD et je me suis frayé un chemin dans la foule, explique Cesar De Melero au Guardian . Il était là, avec son visage innocent, et j’ai dit au videur de le laisser rentrer et au patron de lui servir du champagne.»

Les deux hommes s’étaient aussitôt liés d’amitié, si bien que Keith Haring a peint une fresque dans la cabine dans laquelle Cesar De Melero officiait comme DJ. La boîte de nuit a fermé ses portes en 1992, pour laisser place à une salle de billard. Aujourd’hui, la fresque de Haring est encore là, intacte et tombée dans l’oubli. Mais cette œuvre réalisée au débotté fait aujourd’hui parler d’elle, puisque les propriétaires actuels prévoient de démolir le bâtiment afin d’y construire une maison de retraite.

De quoi mettre en péril la fresque. «Si ça ne tenait qu’à moi, je l’aurais recouverte d’une couche de peinture», explique Gabriel Carral, qui dirige la salle de billard. Lui invoque une clause du bail qui lui donnerait le droit sur les œuvres figurant sur le mur. Il affirme que l’œuvre a été estimée 80.000 euros, et que la Fondation Keith Haring acceptera de payer pour l’extraire du bâtiment. Vendre l’œuvre ou la céder à la fondation, il dit ne pas avoir encore choisi.

Selon Cesar De Melero, ces débats n’ont rien à voir avec l’esprit d’ouverture et de générosité dans lequel Keith Haring a peint la fresque. «Je l’aimais avant de le rencontrer, et encore plus après. Il était un artiste tout à fait normal et si appréciable», selon son ami. Keith Haring se trouvait à Barcelone sur invitation de Montse Guillen, chef d’un restaurant espagnol de New York, très couru dans les années 1980 par des artistes comme Andy Warhol, Grace Jones ou David Byrne.

Au lendemain de cette soirée en boîte de nuit, Cesar De Melero, qui est aujourd’hui un DJ à succès à Ibiza, avait accompagné Keith Haring dans un lieu de Barcelone connu pour être un repaire de toxicomanes et de prostituées. L’artiste y avait peint une fresque sur un bâtiment voué à la démolition. La fresque dépeint un serpent dévorant tout sur son passage. En haut, le slogan «Ensemble, nous pouvons arrêter le Sida». L’année suivante, Keith Haring est mort de complications liées au Sida.

Cesar De Melero, qui avait filmé l’événement, avait écrit le slogan en espagnol sur une feuille de papier pour que Keith Haring puisse le recopier. «Dès le lendemain, des gens avaient gribouillé toutes sortes de choses sur la fresque, se souvient le DJ. Tout le monde se moquait que ce soit du Keith Haring, ces gens-là ne pensaient qu’à se nourrir et se droguer. Keith savait en peignant ça que son travail serait démoli de toute façon. Et cela ne lui posait pas de problème.» Une copie de l’originale est conservée au MACBA, le musée d’art contemporain de Barcelone.

Une copie de l’œuvre originale est conservée au MACBA, le musée d’art contemporain de Barcelone. flickr / Fred Romero

Le soir même, Keith Haring était revenu dans la boîte de nuit. C’est alors qu’il avait demandé à Cesar De Melero d’enlever son matériel du mur. Avec la même peinture rouge que celle utilisée pour peindre la fresque quelques plus tôt, il avait esquissé un personnage semblant se laisser emporter par la musique. «Sa tête est une fleur, ce qui est une référence au flower power des hippies, et le ‘A’ fait allusion au ‘acid house’», explique le DJ. Lui estime que la fresque devrait rester sur place. «Cette peinture devrait rester où elle est. D’abord elle a été dans une boîte de nuit, ensuite dans une salle de billard et maintenant dans une maison de retraite. Pourquoi pas ?»

De son côté, la mairie de Barcelone dit vouloir à préserver l’œuvre. «Nous avons garanti la protection de la fresque dans le cadre du plan d’urbanisme, et nous avons demandé au gouvernement catalan de le déclarer comme faisant partie de notre patrimoine culturel». Cesar De Melero s’agace de l’argument de la valeur de la peinture. «Keith Haring ne l’avait pas peint pour l’argent, il l’avait fait par amitié, et par amour pour cette boîte de nuit et pour Barcelone». Selon lui, personne ne peut revendiquer la propriété de cette œuvre. Keith Haring le disait lui-même, «L’art est pour tout le monde».

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