Aux États-Unis, annulation de la publication d’un essai en raison de sa vision «trop blanche» de l’histoire


Le livre de Richard Cohen consacré aux grandes figures historiques à travers les âges ne paraîtra pas outre-Atlantique. Il lui est reproché de pas évoquer suffisamment de personnalités noires. Sa sortie est pour le moment maintenue au Royaume-Uni.

L’historien Richard Cohen pensait enfin avoir mis un point final à près de dix ans de travail. Mais son récit de 750 pages, The History Makers («Ceux qui font l’histoire») ne paraîtra pas aux États-Unis. La raison de ce camouflet ? L’ouvrage, décrit comme «une exploration épique consacrée à ceux qui écrivent à propos du passé», dépeindrait une vision trop blanche de l’histoire, comme le raconte le Guardian . Selon sa maison d’édition, l’auteur Richard Cohen n’aurait pas consacré une partie suffisante de son travail à des historiens, chercheurs et écrivains noirs ou Afro-Américains.

En découvrant le manuscrit, Random House avait demandé à Richard Cohen de rédiger de nouveaux chapitres, et d’en étoffer d’autres évoquant les historiens et l’histoire noire. «Cela tient aux sensibilités de mon éditeur, estime l’auteur, qui a déjà écrit plusieurs livres à succès. J’ai dû écrire plus, j’ai ainsi fourni 18.000 mots supplémentaires.» Mais ces ajouts et amendements apportés au texte n’auront pas suffi : la publication du livre aux États-Unis a purement et simplement été annulée. Il y a plusieurs années, Richard Cohen avait pourtant signé un contrat à hauteur de 350.000 dollars avec la maison d’édition. Un contrat brutalement rompu par l’éditeur ce mercredi.

Outre-Atlantique, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les omissions de Richard Cohen, qui vit aux États-Unis depuis vingt ans. L’histoire noire y fait partie intégrante des cursus en histoire, et le «Black History month» – le mois d’octobre dédié à l’histoire noire – existe depuis plus d’un demi-siècle. Pour Random House, l’évocation de ce pan de l’histoire faisait défaut à cet ouvrage. Dans un synopsis prometteur, l’éditeur avait décrit The History Makers comme «une exploration épique de ceux qui écrivent sur le passé, et sur la façon dont les biais de perception de ceux qui racontent l’histoire continue d’influencer nos idées sur l’histoire (et sur qui nous sommes) aujourd’hui».

The History Makers balaie le travail des historiens sur plus de 2500 ans, de Tacite à Shakespeare en passant par Voltaire, jusqu’aux grands esprits d’aujourd’hui. Selon les détracteurs de Richard Cohen, le fait que l’auteur se soit principalement intéressé à des personnalités blanches reflète un oubli systémique de la place des Noirs dans les récits historiques. «En Grande-Bretagne en particulier, l’histoire des personnes noires n’a bien souvent été abordée que dans le contexte de l’histoire impériale, et des absurdités ont très souvent été écrites à leur sujet, explique l’historien David Olusoga, né à Lagos au Nigeria au Guardian. L’histoire noire a aussi été délégitimée et instrumentalisée. Il y a eu l’intention de la maintenir à la marge.»

Pour modifier le texte, Richard Cohen a notamment allongé le chapitre sur la guerre de Sécession américaine. Il s’est ainsi intéressé à l’histoire de Frederick Douglass, un esclave s’étant enfui avant d’écrire un long récit historique en cinq volumes. L’auteur a aussi rédigé un nouveau chapitre, intitulé «Who Tells Our Story» («Qui raconte notre histoire ?»), qui est largement consacré aux noirs américains de ces deux derniers siècles. Parmi eux, le pédagogue Booker T Washington et William Edward Burghardt Du Bois, un sociologue, historien et figure de proue du mouvement Niagara, qui militait pour l’égalité des droits. Afin de satisfaire ses contempteurs, Richard Cohen a en outre dédié un nouveau passage de son ouvrage à Leo Africanus, un Berbère du XVIe siècle ayant écrit des récits consacrés à l’histoire du Maghreb et de la Vallée du Nil.

Parmi les figures noires contemporaines évoquées dans son livre, on retrouve Henry Louis Gates, un historien américain très médiatique, qui a redécouvert Our Nig, roman écrit par la première romancière américaine noire, Harriet Wilson. Les livres écrits par Toni Morrison, plusieurs – dont Beloved – sont aussi cités en ce qu’ils possèdent une dimension historique. Des ajouts qui n’auront pas suffi à réhabiliter l’ouvrage outre-Atlantique. La publication de The History Makers est toutefois maintenue au Royaume-Uni. Elle doit paraître le 25 juin.

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