Un tableau orgiaque des réserves de la National Gallery réattribué à Nicolas Poussin


Un nettoyage et un réexamen ont permis d’authentifier la peinture qui appartenait à une série de trois bacchanales. La toile sera exposée cet automne au Royaume-Uni.

Nicolas Poussin (1594-1665) triomphe. La copieuse orgie antique du Triomphe de Silène, une huile sur toile conservée à la National Gallery, est désormais réattribuée au maître français de la peinture classique, a annoncé jeudi le musée londonien. Rejeté pendant de longues années dans ses réserves obscures et jusqu’à peu flanqué d’une notice évoquant une œuvre faite «d’après Poussin», le tableau devrait enfin revoir l’éclairage des cimaises et l’œil pétillant du public à l’occasion d’une grande exposition consacrée à Poussin et la danse qui se prépare pour cet automne.

«Cette toile a langui pendant si longtemps, elle a été négligée. Les gens vont la voir sous un nouveau jour», s’est félicitée dans un entretien au Guardian Francesca Whitlum-Cooper, conservatrice adjointe en charge des collections de peintures du XVIIe-XVIIIe siècle à la National Gallery. Acquis en 1824 par le musée, Le Triomphe de Silène a un temps été correctement attribué au peintre de cour Nicolas Poussin avait d’être, petit à petit, mis en doute dans les décennies suivantes jusqu’à finir tout à fait considéré – et perçu comme une copie – à partir d’au moins 1946. Ce Triomphe est l’un des trois tableaux qui formaient une série de bacchanales commandées à l’artiste par le cardinal de Richelieu, vers 1635 ou 1636. La peinture a «l’honneur douteux d’avoir été rejetée par de nombreux spécialistes de Poussin du XXe siècle», a plaisanté Francesca Whitlum-Cooper, tout en saluant le regard averti des rares experts – tels que l’ancien directeur du Louvre Pierre Rosenberg – restés convaincus de son authenticité.

Le Triomphe de Silène conservé à la National Gallery. The National Gallery

La raison du doute et des débats qui ont persisté au sujet du tableau tient à ses différences apparentes avec les deux autres toiles de la série, Le Triomphe de Bacchus , conservé au Nelson-Atkins Museum of Art, à Kansas City (Missouri), et Le Triomphe de Pan , lui aussi conservé à la National Gallery. «Tant sa composition que son exécution physique paraissent un peu dépouillées», écrit Francesca Whitlum-Cooper dans l’article qu’elle a publié jeudi, dans le Burlington Magazine . «Le premier plan offre moins de délicieux éléments de nature morte que le Triomphe de Pan, et ceux qui ont été inclus, comme la cloche et le bâton, semblent plutôt ordinaires en comparaison».

Une restauration salvatrice

Le regard des spécialistes britanniques se met cependant à changer à l’occasion du nettoyage du tableau, en 2019-2020. Décrassée des salissures et de sa patine, la toile reprend à mesure des travaux de restauration un caractère beaucoup plus proche de l’esprit des deux autres toiles, même si elle paraît toujours moins accomplie. La raison de ce manque de finition proposée par les spécialistes serait le calendrier très chargé de Poussin à cette époque, à un moment de sa vie où il ne pouvait pas encore se permettre le moindre retard pour des commanditaires tels que Richelieu. Réalisée à la hâte, la série des bacchanales aurait également été – selon les mots de l’historien de l’art Anthony Blunt cités par Francesca Whitlum-Cooper – «peinte sans amour».

Détail du Triomphe de Silène. The National Gallery

En plus de l’éclat renouvelé de l’œuvre après son nettoyage, un faisceau d’indices techniques semble concorder à faire du tableau un Poussin authentique. Une analyse comparée des pigments des trois toiles a ainsi révélé «des mélanges et des composants extrêmement similaires qu’il serait difficile d’expliquer à travers deux tableaux non reliés», indique un communiqué de la National Gallery. À cela s’ajoute la découverte, en 2013, de la parenté des trois toiles de la série, issues d’un même rouleau et donc du même atelier. Enfin, une récente inspection par fluorescence a également relevé des traces de repentirs – de retouches, d’hésitations de composition – que l’on ne trouve normalement pas dans une copie.

Réattribué à celui qui allait devenir Premier peintre du Roi de 1641 à sa mort, Le Triomphe de Silène a d’ores et déjà été réétiqueté dans les collections de musée qui possède désormais quatorze tableaux du maître. «Poussin n’a peint qu’une poignée de ces scènes de danse endiablées, s’est réjouie Francesca Whitlum-Cooper. Il est donc fantastique d’avoir redécouvert cette œuvre originale à temps pour la première exposition de ses tableaux de danse». À moins d’un rebond de la pandémie sur le sol britannique, l’exposition Poussin and the Dance («Poussin et la danse») ouvrira ses portes au public à partir du 9 octobre 2021.

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