L’artiste Matt Loughrey accusé d’avoir trafiqué des photos de victimes des Khmers rouges


L’Irlandais ne se contentait pas de coloriser les portraits de disparus, pris par leurs bourreaux ; il transformait leur visage pour les rendre souriant avant leur exécution.

Selon Matt Loughrey, il s’agissait d’« humaniser» les portraits des milliers de morts du génocide cambodgien. L’artiste irlandais, dans la tourmente depuis la publication de son travail dans le magazine américain Vice, est accusé d’avoir trafiqué des portraits de victimes des Khmers rouges, dictature maoïste ultra-violente dirigée par Pol Pot, qui contrôla le Cambodge de 1975 à 1979. Le régime avait notamment photographié quelques milliers des 15.000 victimes de la prison de Tuol Sleng (S-21), à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, avant qu’elles ne soient exécutées.

Exposés dans l’établissement, qui est depuis devenu le musée du génocide, ces clichés en noir et blanc ont été nettoyés et colorisés par Matt Loughrey dans le cadre de son projet artistique. Le résultat : ces photos paraissaient produites par un appareil photo numérique dernier cri. Et les disparus, décédés depuis plus de 40 ans, plus proches de nous, dans l’intention de l’artiste. Mais son travail ne s’est pas arrêté là : il a également pris la discrète initiative de rendre souriants les visages de certains détenus. Le trucage révélé a suscité une importante polémique au Cambodge et au-delà. S’estimant trompé, le magazine Vice a dépublié son article après avoir entendu les hésitantes explications de l’artiste.

Interrogé par les éditeurs du magazine avant publication, Matt Loughrey avait d’abord expliqué que certaines personnes souriaient effectivement, notamment des femmes. «Je pense que cela est en grande partie lié à la nervosité », avait-il dit avant de supposer que les geôliers s’adressaient probablement plus rudement aux hommes. Mais ces explications ont été battues en brèche par la publication, sur les réseaux sociaux, des photos apparemment originales desquelles aucun sourire ne paraît.

L’affaire a vite embrasé le Cambodge où le souvenir des exactions de l’ère Pol-Pot reste vivace. «Jouer en utilisant la technologie pour maquiller les victimes de S21 est une insulte très grave à l’âme des victimes du #génocide», a ainsi écrit l’ancienne parlementaire et militante des droits de l’homme Mu Sochua sur Twitter. De son côté Norng Chan Phal, orphelin survivant de Tuol Sleng, a qualifié le projet d’«insulte». «Je condamne fermement ces photographies colorisées parce qu’aucune des victimes à S-21 n’a jamais été heureuse, a-t-il déclaré à l’AFP. Nous, qui entrions à S-21, n’avions jamais eu l’occasion de sourire. Je ne suis favorable à aucune modification des photographies. Nous souffrions.»

À la suite de ce tollé, le ministère cambodgien de la Culture s’est aussi emparé de l’affaire, déclarant que la manipulation de ces clichés affectait « gravement la dignité des victimes». Si Matt Loughrey avait pourtant affirmé que le musée du génocide de Tuol Sleng était en parfait accord avec son projet, le gouvernement a quant à lui estimé qu’il violait les droits du musée, se devant d’être le gardien de l’histoire. «Nous exhortons les chercheurs, les artistes et le public à ne manipuler aucune source historique », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Quelque deux millions de Cambodgiens, soit environ un quart de la population, ont perdu la vie lors du massacre des Khmers rouges qui a sévi de 1975 à 1979. La plupart sont morts d’épuisement, de famine, et de maladie, ainsi qu’à la suite de tortures et d’exécutions en prison.

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