quand Ferré et Gainsbourg chantaient le poète


L’auteur des Fleurs du mal est né le 9 avril 1821. En hommage à son génie, découvrez quatre fleurs maladives, L’Albatros, Le serpent qui danse, L’Horloge et Réversibilité interprétés par Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Mylène Farmer et Jean-Louis Murat.

Il y a deux siècles, le 9 avril 1821, naissait à Paris Charles Pierre Baudelaire. Le poète maudit qui croyait à la musicalité des mots et des phrases aurait peut-être écouté avec volupté les réinterprétations de L’Albatros et d’Un serpent qui danse par Léo Ferré et Serge Gainsbourg. Déjà de son vivant il écrivit à la nièce de Victor Hugo ce qu’il pensait de l’adaptation en musique de ses poèmes: «Madame, voici des mélodies de mon ami Cressonnois, que je n’ai jamais entendu exécuter. Je compte un peu sur vous pour me faire cette grâce».

L’idée n’était donc pas nouvelle. Le disque et les possibilités modernes du milieu du XXe siècle auront pu mener à bien les prémices mélodiques esquissées en 1863, quatre ans avant la mort de Charles Baudelaire.

«C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent!»

Léo Ferré et son héritier Jean-Louis Murat n’ont été que ses plus respectueux et plus humbles continuateurs en ne faisant qu’effleurer les fameuses fleurs maladives, qui firent tant de scandales à leur première publication. Mais il faut admettre que c’est Serge Gainsbourg le maudit, et Mylène Farmer, la poétesse libertine qui ont approché au plus près son esprit en créant des mélodies subversives en adéquation avec la geste baudelairienne qui proclamait au début des Fleurs du mal: «C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent!»

En hommage à l’imagination parfois effrayante du créateur des fleurs maladives dédiées à Théophile Gautier Le Figaro a choisi quatre poèmes de Charles Baudelaire, revus mais pas corrigés, par Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Mylène Farmer et Jean-Louis Murat. Les voici, en vers et en musique.

Léo Ferré chante L’Albatros de Charles Baudelaire

«Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, qui suivent, indolents compagnons de voyage, le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, que ces rois de l’azur, maladroits et honteux, laissent piteusement leurs grandes ailes blanches comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid! L’un agace son bec avec un brûle-gueule, l’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait! Le Poète est semblable au prince des nuées qui hante la tempête et se rit de l’archer; éxilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher.»

Serge Gainsbourg chante Le serpent qui danse de Charles Baudelaire
«Que j’aime voir, chère indolente, De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante, Miroiter la peau! Sur ta chevelure profonde Aux âcres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns, Comme un navire qui s’éveille Au vent du matin, Mon âme rêveuse appareille Pour un ciel lointain. Tes yeux, où rien ne se révèle De doux ni d’amer, Sont deux bijoux froids où se mêle L’or avec le fer. À te voir marcher en cadence, Belle d’abandon, On dirait un serpent qui danse Au bout d’un bâton. Sous le fardeau de ta paresse Ta tête d’enfant Se balance avec la mollesse D’un jeune éléphant, Et ton corps se penche et s’allonge Comme un fin vaisseau Qui roule bord sur bord et plonge Ses vergues dans l’eau. Comme un flot grossi par la fonte Des glaciers grondants, Quand l’eau de ta bouche remonte Au bord de tes dents, Je crois boire un vin de Bohême, Amer et vainqueur, Un ciel liquide qui parsème D’étoiles mon cœur!»

Mylene Farmer chante L’Horloge de Charles Baudelaire

«Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, dont le doigt nous menace et nous dit: «Souviens-toi! Les vibrantes douleurs dans ton cœur plein d’effroi se planteront bientôt comme dans une cible, Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse; Chaque instant te dévore un morceau du délice à chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la seconde chuchote: Souviens-toi! – rapide, avec sa voix d’insecte, maintenant dit: Je suis autrefois, Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde! Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or! Souviens-toi que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup! c’est la loi. Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l’heure où le divin hasard, où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge, où le repentir même (oh! la dernière auberge!), où tout te dira: meurs, vieux lâche! Il est trop tard!»

Jean-Louis Murat chante Réversibilité de Charles Baudelaire
«Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,la honte, les remords, les sanglots, les ennuis, et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse? Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine? Ange plein de bonté connaissez-vous la haine? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard, Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévouement dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides! Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides? Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté ; Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!»

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