L’idole de Shigir, mystérieux totem taillé dans un mélèze, est la doyenne des sculptures en bois


Découverte au XIXe siècle en Sibérie, l’œuvre, datée jusqu’à présent de 11.600 ans, aurait en fait 1000 ans de plus selon les dernières études.

C’est un chef-d’œuvre en bois de l’âge de pierre. Découvert par des mineurs russes en 1890, dans une tourbière des confins occidentaux de la Sibérie, l’austère visage de «l’idole» de Shigir avait fait le tour du monde ces dernières années, au moment de la publication d’une retentissante étude russo-allemande. Après inspection au moyen d’une spectrométrie de masse, l’âge de l’objet avait été estimé à 11.600 ans avant le présent, ce qui en faisait le plus vieil exemple d’art monumental anthropomorphique jamais documenté. Cet âge déjà fort vénérable vient d’être affiné à la hausse, à la faveur d’une nouvelle étude publiée par la même équipe dans Quaternary International : l’idole de Shigir est désormais officiellement âgée de 12.500 ans, c’est-à-dire de la fin de la dernière période glaciaire.

Conservée au musée régional de Sverdlovsk, à Iekaterinbourg, la statue – dont plusieurs fragments ont été retrouvés – mesurait à l’origine environ 2,8 mètres de haut. Taillée d’un seul tenant dans le tronc d’un mélèze âgé d’au moins 159 ans au moment de sa création, elle représente une figure longiligne et anthropomorphe non identifiée, traditionnellement assimilée à une forme de divinité – d’où son nom arbitraire «d’idole». Sous la tête, les différentes sections qui formaient le corps de la statue sont ornées de huit visages humains ainsi que de sillons et de tracés géométriques en forme de vagues de chevrons.

Les différents fragments de l’idole de Shigir. Sverdlovsk Regional Museum

Impressionnants pour leur époque, ces motifs ont été rapprochés par les spécialistes du programme ornemental complexe qui orne les stèles du site de Göbekli Tepe (Turquie), âgé de 11.000 ans, ce qui, selon le préhistorien Marcel Niekus interrogé par le New York Times , pourrait indiquer l’existence de «contacts à longue distance ainsi que d’un langage symbolique partagé». La tête de la sculpture, avec sa bouche ouverte et arcades sourcilières prononcées interroge également de longue date les spécialistes. L’individu «n’est pas passif, a commenté pour le quotidien américain Thomas Terberger, un des archéologues allemands derrière l’étude de l’idole. Qu’il crie, hurle ou chante, il projette une autorité, peut-être malveillante.» Si sa fonction symbolique reste voilée de mystères, sa haute taille en faisait un marqueur visuel important dans le paysage, sans doute un point de repère pour les communautés de chasseurs-cueilleurs qui écumaient la région.

De nouvelles perspectives sur l’art mobilier

Plus encore que ses qualités artistiques, son âge et le site de sa découverte, en Sibérie, invitent les préhistoriens à renouveler ce qu’ils pensaient savoir de la culture matérielle – et notamment artistique – de la fin du Paléolithique et du début du Mésolithique. Unique vestige en bois de l’âge de pierre, l’idole de Shigir est le seul témoignage disponible d’une époque qui devait être marquée par un artisanat dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui, en raison du caractère périssable de cette matière vivante. Surtout, elle remet en perspective l’art des chasseurs-cueilleurs des espaces extra-européens, un champ longtemps sous-étudié. «Pour beaucoup de mes collègues, l’Oural était une véritable terra incognita», a assuré Thomas Terberger, qui s’agace que «les chasseurs-cueilleurs sont considérés comme inférieurs aux premières sociétés agricoles qui émergent à cette époque au Levant, alors même que les preuves archéologiques provenant de l’Oural et de la Sibérie sont sous-estimées et négligées.»

Parfait exemple de ce que l’absence de preuve ne prouve pas, l’idole de Shigir bouscule ainsi des certitudes bien établies de la préhistoire, à l’image de la récente réévaluation de la place des femmes dans les sociétés de l’âge de pierre, ou encore de la production artistique des cousins néandertaliens et dénisoviens d’Homo sapiens. Autant de reformulations qui pourraient s’appliquer à la production mobilière du Paléolithique, selon le paléoanthropologue João Zilhão. «Les arguments concernant la richesse de l’art mobilier, par exemple au Paléolithique supérieur en Allemagne ou en France, par rapport à l’Europe du Sud, sont dans une large mesure absurdes, a expliqué l’universitaire barcelonais au New York Times. On oppose la toundra (où il n’y a pas d’arbres et où l’on utilise de l’ivoire, qui est archéologiquement visible) aux environnements forestiers ouverts (où l’on utilise du bois, qui est archéologiquement invisible)». À défaut de jamais démontrer la spiritualité de cette «idole» qui, faute de clé de lecture, pourrait longtemps échapper aux chercheurs, la matière même de cet ouvrage en bois sculpté reste éloquente aux yeux des spécialistes de la fin du Paléolithique, pour qui sa datation tout juste affinée pourrait bien faire date.

.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*