Les demeures historiques britanniques ébranlées par la crise sanitaire


La fermeture au public de ces anciens domaines menace non seulement l’emploi et la stabilité de tout un secteur, mais également leur rénovation. Un péril urgent, pour certaines d’entre elles.

Au Royaume-Uni comme en France, les briques rouges du patrimoine font grise mine. Déjà en danger avant l’irruption de la crise sanitaire en 2020, les demeures historiques et les 34.400 personnes qui y travaillent tout le long de l’année sont désormais prises à la gorge entre les montants de plus en plus exorbitants des rénovations qui se profilent, et l’absence quasi-totale de revenus liée à la leur fermeture au public. Alors que ces domaines ne figurent pas dans la liste des premières activités qui devraient rouvrir en avril, ce sont près de 3000 personnes qui risquent de perdre leur emploi. Quant aux bâtiments, beaucoup de propriétaires s’avouent désormais incapables de les entretenir.

«Ce sont des bâtiments classés très, très importants qui font partie de notre patrimoine national», s’est désolé James Probert. Représentant près de 1500 demeures historiques privées dans l’ensemble du Royaume-Uni, ce responsable de l’organisation Historic Houses interrogé par l’AFP a rappelé que 1,6 milliard d’euros était engagé en 2019 pour des travaux de rénovation, dont près de 400 millions pour les seuls ouvrages urgents, pour mesurer l’ampleur du chantier avant que n’éclate la pandémie. Or depuis un an, faute de public et de finances, certaines de ces maisons ont été livrées à elles-mêmes, c’est-à-dire aux éléments, à l’humidité, aux moisissures. De quoi tirer la sonnette d’alarme.

Des demeures historiques mangées par le temps

Propriétaire depuis 1971 du manoir de Kentwell Hall, dans le Suffolk, Patrick Phillips a été percuté de plein fouet par la fermeture de la demeure au public. Derrière la fière allure de cette bâtisse râblée du XVIe siècle, de son architecture en brique et des dispositions enchanteresses de ses tourelles et du pont bucolique qui enjambe ses douves, la maison tudorienne se meurt. Mangée par le temps, l’ancienne demeure seigneuriale nécessiterait d’importants travaux de rénovations, notamment vers les douves qui s’effondrent ; une perspective tout simplement irréalisable à un moment où le chiffre d’affaires habituel du manoir – 1,75 million d’euros en 2019 – a fondu comme neige au soleil. Volatilisés, les événements, les mariages, les conférences et autres reconstitutions historiques ; envolés, également, les visiteurs : au total, près ce sont près de 90% des recettes de Kentwell Hall qui sont retournés à la poussière. «C’est extrêmement pénible pour nous d’essayer de gérer cet endroit sans revenus, a témoigné Patrick Phillips à l’AFP. Nous souffrons tous inutilement». Face à l’urgence des travaux, le propriétaire ne peut que déplorer, impuissant, son incapacité à démarrer les travaux requis. Un «vrai désastre», selon lui.

De l’autre côté de l’Angleterre, dans le Devonshire, ce constat amer est aussi partagé par Charles Courtenay, le propriétaire du château de Powderham. Héritier du magnifique ensemble fortifié de la fin du XIVe siècle bâti par ses ancêtres, le comte de Devon a confié à l’AFP avoir été «décimé financièrement» par la fermeture des lieux accueillant du public et par les confinements anglais successifs. Pas de quoi faire sauter l’assise solide des murs médiévaux, même si quelques infiltrations d’eau sont à déplorer sur les toitures : plus que la pierre, c’est la cassette du château qui a été atteinte en son cœur.

Nous ne disons pas qu’ils doivent autoriser ces activités à rouvrir le 12 avril. Mais nous leur demandons d’au moins l’envisager.

James Probert

Que ce soit à Kentwell Hall ou à Powderham, les aides publiques restent minces. Au chômage partiel garanti par le gouvernement s’ajoute le soutien financier de quelques associations patrimoniales comme Historic England, venu en aide au château du comte de Devon, dont les sommes sont employées à l’entretien des édifices. Cependant, presque davantage que des aides financières, les différentes personnes interrogées par l’AFP plaident avant tout pour une réouverture «dès que possible», selon les mots de Charles Courtenay, pour mettre fin au plus vite à cette situation financièrement éprouvante. Une demande expresse qui ne correspond pas au calendrier de déconfinement présenté par Boris Johnson en février, qui écarte les demeures historiques de la vague de réouvertures prévues pour le 12 avril, en les reléguant – comme les musées – à la phase suivante, pour l’instant fixée au 17 mai.

Une échéance perçue comme trop lointaine, trop tardive, pour les responsables de demeures historiques, au regard de l’urgence économique voire, dans certains cas, du péril qu’encourent ces sites vieux de plusieurs siècles. Sans oublier, non plus, l’intérêt du public pour ces domaines : à Powderham, Charles Courtenay avait mis les jardins du château à disposition du public, l’été dernier, en y créant un «espace communautaire». Bien accueillie, l’initiative pouvait témoigner de l’attachement des populations pour ces espaces d’un autre temps. «Ce sont des activités essentielles dont la contribution est essentielle», a fait remarquer James Probert. Le responsable de Historic Houses appelle le gouvernement à être raisonnable. «Nous ne disons pas qu’ils doivent autoriser ces activités à rouvrir le 12 avril. Mais nous leur demandons d’au moins l’envisager». Faute de revirement, les ponts-levis du pays ne se rabaisseront à recevoir du public que d’ici sept semaines.

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