Sur un air de fado ou le réveil abrupt de la conscience


LA CASE BD – Pour son premier album, en tant qu’auteur, Nicolas Barral plonge le lecteur dans la dictature de Salazar au Portugal. Et livre le récit édifiant de Fernando, un médecin indifférent aux événements qui peu à peu va s’armer de courage…

Lisbonne, 1968. Le pays vit sous la dictature de Salazar. Une sombre période que traverse avec légèreté, détachement et insouciance Fernando Pais. Médecin de ville à la vie confortable, il profite de la douceur de vivre que lui confère son statut. Rien ne saurait le tirer de sa torpeur si ce n’est Joao, un garçon d’une dizaine d’années en résistance contre le régime. Intrépide et courageux, ce Gavroche portugais rouvrira les blessures du passé et fissurera la carapace empreinte d’indifférence et de cynisme que s’est forgée Fernando.

«Comment se débat-on dans un régime autoritaire ? Et quelle influence a une politique nationaliste sur les individus ?», s’interroge Nicolas Barral. Dans Sur un air de fado, sans porter aucun jugement, l’auteur explore les méandres de l’âme humaine, à travers le cheminement de Fernando dans sa conquête du courage. Une réflexion sur l’engagement relayée par un trait naturaliste rehaussant avec brio la beauté de Lisbonne. Baignée de lumière, la ville offre un écrin flamboyant à une population meurtrie par la dictature. Histoire de ne pas sombrer dans l’obscurité la plus totale.

La case BD: décryptage de Nicolas Barral

Joao, au centre affiche un courage qui n’était pas tellement à la mode à l’époque de Salazar. Nicolas Barral/Dargaud

«Cette planche est assez cruciale. C’est la rencontre qui va perturber Fernando, le protagoniste, le bousculer dans sa routine quotidienne. La scène se situe devant de siège de la PIDE, la police politique portugaise où un petit garçon est venu faire une farce. Une farce qui peut coûter cher. Dans un régime tel que celui de Salazar, on ne plaisante pas avec les symboles d’autorité. On peut se demander ce qui a poussé ce petit garçon à se mettre en danger. On découvrira plus tard qu’il a de bonnes raisons d’en vouloir à la police politique.

Il affiche crânement un courage qui n’était pas tellement à la mode à l’époque. Il y avait évidemment une opposition, mais elle n’avait pas véritablement droit de cité. La peur est le sentiment qui domine la population portugaise alors. Ce petit garçon a du cran de venir provoquer ces deux agents. Fernando, avec sa mallette vient rendre visite à un patient, c’est sa tournée du matin qui l’amène tous les jours à s’arrêter au siège de la police politique. Il appartient à la catégorie de ces gens qui ne prennent pas position et en tant que médecin il doit a priori soigner tout le monde. Il n’est pas très regardant dans le choix de ses patients et semble assez bien s’accommoder des drames qui se déroulent dans ce bâtiment austère et froid de la PIDE.

Est-ce que la légèreté est coupable ? Est-on forcément un salaud si on n’est pas un héros?

Nicolas Barral

Mais il se trouve confronté à un petit d’homme qui possède un courage dont il est dépourvu et dans le dernier strip, en première case, le trouble se lit sur son visage. Sa façon de jeter sa cigarette illustre un geste lourd de sens. On assiste au premier moment du réveil de la conscience du héros ainsi qu’à la dernière cigarette de la tranquillité. Cette scène est la première alerte qui va contribuer à ouvrir les yeux du personnage sur une réalité qu’il refuse de voir. Il est dans une forme d’anesthésie émotionnelle que des flash-back vont nous permettre d’appréhender.

Est-ce que la légèreté est coupable ? Est-on forcément un salaud si on n’est pas un héros? … sont autant de questions que soulève l’album. J’ai tranché la question pour Fernando, mais je ne sais toujours pas ce que je ferais en ce qui me concerne.

Pour incarner cette histoire, j’ai privilégié un dessin pris sur le vif. Comme on filme caméra à l’épaule, je souhaitais instiller une vibration qui m’éloigne du trait un peu trop léché et posé de la BD franco-belge classique. Cette approche me permet de restituer sans la figer, une attitude, l’expression d’un visage, afin de faire ressentir au plus près l’émotion des personnages. Je pousse le naturalisme jusqu’au bout avec la couleur qui s’efforce ici de reconstituer la lumière, la chaleur, la douceur ressenties à Lisbonne. Douceur un peu trompeuse à l’époque évoquée.»

Sur un air de fado, Nicolas Barral, éditions Dargaud, 22,50 euros.

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