Les galères d’Ôôdiylleux ou la vie d’une jeune compagnie de théâtre au temps du coronavirus


Pour la quatrième fois en un an, Sophie Planté, créatrice d’une troupe, a dû reporter les dates de son tout premier spectacle, une adaptation de Music-Hall de Jean-Luc Lagarde. Après cette année blanche, elle tente désespérément de garder la foi, mais cela semble de plus en plus compliqué.

Danse. Chant. Drame. Contre vents et marées, une diva tente de réaliser leur spectacle. Mais les nombreuses difficultés liées aux répétitions et aux manques d’accès aux salles les mènent au désespoir. C’est l’argument de Music-Hall . « On n’a jamais été autant ancré dans la réalité qu’avec cette pièce, entre la situation sanitaire et les galères de lieu», témoigne la metteuse en scène Sophie Planté. Sa toute jeune compagnie Ôôdiylleux (prononcé «Ô dieu») prépare depuis 2018 une adaptation du texte de Jean-Luc Lagarce, Music-Hall donc. Une première compliquée pour les cinq comédiens qui la composent.

Face à la fermeture des théâtres, les seize dates prévues du 30 avril au 28 juin sur la petite scène du Guichet Montparnasse sont reportées pour la… quatrième fois ! En plus d’une organisation carrée et rigoureuse, Sophie Planté a tout misé sur cette première pièce. Pour financer le contrat de réalisation de 3300 €, elle a investi ses fonds personnels et a reçu l’aide d’une autre compagnie. «On ne joue pas pour se faire du cachet ou pour gagner de l’argent, mais pour se faire connaître auprès des professionnels et des producteurs. Aujourd’hui, je n’ai pas de quoi justifier mon statut d’intermittent avec cette année blanche. Je repars de nouveau à zéro», s’inquiète-t-elle.

Sa compagnie continue de répéter avec le fol espoir de remonter sur scène. Mais encore une fois, les difficultés s’amoncellent. Les espaces culturels donnent la priorité aux visioconférences données par des acteurs professionnels, seuls dans une salle. «Cela permet à ces comédiens de prouver le travail réalisé et ils peuvent donc ensuite souscrire au régime d’intermittent. Mais quand on fait sauter dans le même temps le créneau d’une compagnie et qu’on la remplace par un homme seul et un ordinateur, c’est assez désagréable pour une jeune troupe comme la nôtre», s’insurge Sophie Planté.

Et les aides de l’État ne suffisent pas à combler les pertes de la compagnie. Lorsque les théâtres étaient ouverts, les places manquantes liées aux jauges réduites étaient remboursées à hauteur de 300 € pour quatre dates, alors que le manque à gagner pour une seule soirée est estimé à 500 € ! Dans ses conditions, il est de plus en plus difficile d’attendre jusqu’au 11 avril, date à laquelle les comédiens ne sont d’ailleurs pas encore certains de retrouver la scène. Des comédiens qui, de surcroît, sont «fatigués de répéter pour ne pas jouer», raconte Sophie Planté à qui il arrive de déprimer en regardant, dans son appartement, ce carton rempli d’un millier de flyers de son premier spectacle.

«À l’art, au théâtre, à la vie », lance Yohan Lerich, l’un des acteurs de Music-Hall, en sortant justement d’une répétition. Vêtu d’un long manteau cintré et d’un Borsalino noir couvrant ses longs cheveux, le comédien de 26 ans comptait pourtant sur ce spectacle pour entrer dans le monde professionnel. «Ça me hante de ne pas pouvoir monter sur scène. Je ne suis pas suffisamment nourri en tant qu’acteur. C’est la dernière branche à laquelle je me tiens», se désole-t-il. Mais contrairement à Sophie Planté, il peut encore jouer quelques scènes grâce aux cours de Daniel Mesguich. Une manière de s’aérer l’esprit sans pour autant trouver de réconfort. «Les cours nous ont sauvés. Je me demande ce que je deviendrais si je n’avais plus rien. Je serais sûrement seul et isolé. Mais cette activité vitale n’a pas vraiment de goût car il n’y a pas d’objectif à terme», s’attriste l’acteur.

Les yeux au ciel, Yohan Lerich avoue se refaire les scènes de Music-Hall dans la rue. «J’ai envie d’y croire et de finir ce projet», insiste-t-il avec des étoiles dans les yeux. Mais se ravise : ce n’est pas «une bonne idée» de devenir acteur en ce moment. «Le théâtre ne pourra pas complètement mourir», se rassure-t-il. Pour tenir bon, il peut aussi compter sur sa famille qui le soutient psychologiquement et financièrement. «J’ai de la chance mais ce n’est pas le cas de tous, y compris de mes partenaires de jeu», reconnaît-il.

Si les difficultés s’enchaînent, les acteurs et leur metteuse en scène résistent. Sophie Planté dit s’activer en ce moment. Elle monte dossier sur dossier pour tenter de faire partie de la programmation des prochains festivals. Le virus n’a pas anéanti complètement son rêve. «Notre objectif à présent, c’est Perpignan en avril, confie-t-elle. On a l’espoir que la compagnie prouve sa raison d’être à travers ce spectacle et réussisse à convaincre les professionnels et les producteurs de nous faire confiance.»

Cinéma, théâtre, musique… Les étudiants-journalistes d’IPJ, l’Institut Pratique du Journalisme de l’Université Paris Dauphine , proposent leur regard sur l’actualité culturelle. IPJ Dauphine

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