«Il a fallu faire des choix», Thomas Lilti raconte l’enfer des hôpitaux


Dans un ouvrage paru le 20 janvier, le réalisateur et médecin raconte son retour à l’hôpital en tant que médecin bénévole, pendant la première vague de la pandémie en mars.

Et si la réalité dépassait la fiction ? Après avoir renfilé sa blouse médicale en mars dernier, le réalisateur d’Hippocrate, Thomas Lilti, signe Le Serment, ouvrage disponible aux éditions Grasset depuis le 20 janvier, qui raconte ce retour aux sources. Questionné ce dimanche 7 février sur le plateau du Clique, émission diffusée sur Canal +, le cinéaste et médecin a décrit cette expérience troublante et son effroi face à la réalité du monde médical, a fortiori en temps de Covid.

De bric et de broc

«Il a fallu la crise sanitaire pour se rendre compte de la difficulté des soignants». Y compris pour le réalisateur, en partie du moins, bien que ses films dépeignent de façon stupéfiante la pression du corps médical, pris entre les dysfonctionnements vicieux d’une administration technocrate et les manques de moyens de l’hôpital public. Mais représenter la réalité et la vivre sont deux choses bien différentes. «Quand je suis arrivé à l’hôpital, c’était très concret. On n’était tellement peu préparés, d’un point de vue logistique, à accueillir une crise sanitaire qu’il a fallu réorganiser les locaux. Tendre des bâches, se protéger comme on le pouvait pour combler l’absence des masques et des blouses. Tous les services essayaient de trouver des lits et des places pour les patients», raconte-t-il à l’animateur, Mouloud Achour.

Médecin de profession, Lilti s’est lancé dans le cinéma en parallèle de ses études. C’est en 2016, seulement, qu’il décide de se consacrer uniquement à sa passion, même si la plupart de ses réalisations mettent en scène le monde hospitalier. «Je m’épanouis beaucoup plus en racontant des histoires, et même des histoires de soignants. Peut-être pour consoler une culpabilité de ne pas pratiquer la médecine», détaille-t-il avec humilité. Une culpabilité redoublée par la situation pandémique, lui imposant de se porter volontaire auprès de ses anciens collègues. «Personne ne m’attendait», avoue le cinéaste, laissant imaginer que l’accueil ne fut pas des plus chaleureux.

Happé par la tension qu’il avait fui plusieurs années auparavant, Lilti décrit, ému, la situation hors de contrôle dans laquelle il fut plongé. «En France on sait gérer une crise sanitaire. Mais l’outil [le monde hospitalier, NDLR] est tellement abîmé, les soignants sont déjà dans une telle difficulté, que c’est la fameuse goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ajoutez à cela l’inquiétude de ce virus inconnu et d’un seul coup ça craque de partout, ça explose totalement.»

« Au moment de la première vague, on était tellement débordés qu’il a fallu faire des choix et se dire qu’on n’allait pas pouvoir sauver tout le monde. »

Thomas Lilti

«Vous racontez qu’il faut faire des choix, décider qui on soigne», le coupe alors l’une des chroniqueuses sur le plateau, Catherine Ceylac, faisant référence à un passage du Serment. Et le réalisateur de rebondir comme un diable, manifestement satisfait de la question. «Ça existait bien avant le Covid. À l’hôpital, on est amené, parfois, à faire des choix, mais pas forcément entre laisser mourir quelqu’un pour sauver la vie d’un autre. Il faut définir une priorité dans la prise en charge des patients. Au moment de la première vague, on était tellement débordés, qu’obligatoirement, il a fallu faire des choix et se dire qu’on n’allait pas pouvoir sauver tout le monde.»

Le besoin des médecins étrangers

Très virulent vis-à-vis de la politique de santé menée depuis plusieurs années, Lilti revient sur la place des médecins étrangers dans le secteur hospitalier français. Une nécessité, selon lui. En France, «on forme très peu de médecins et ceux qu’on forme ne veulent plus travailler à l’hôpital. Les conditions y sont trop difficiles, leur travail n’est pas valorisé». C’est pourquoi «on les fait venir en France, pas parce qu’ils nous supplient de bosser dans nos merveilleux hôpitaux, mais parce qu’on a besoin d’eux, on ne peut pas faire tourner l’hôpital sans eux».

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