Charles Pépin, Julia de Funès… la mode du développement personnel agace les philosophes


Arnaque ou produit miracle ? Les philosophes dénoncent l’impact d’un développement qui semble n’avoir de personnel que le nom.

Plutôt que les conseils et les certitudes d’un coach, les enseignements et les questions de penseurs qui incitent à réfléchir: la mode du développement personnel agace les philosophes, lesquels plaident pour une pensée critique.

«Quand on voit tout ce qui dans l’époque invite à être soi – moi je suis ceci, je suis cela, etc. – eh bien moi non, je ne suis pas. Je deviens, je change, et la rencontre me fait changer», résume Charles Pépin, qui a publié La Rencontre, une philosophie, le 14 janvier aux éditions Allary.

Il y a de mauvais livres qui n’aident personne tellement ils sont mal faits

Charles Pépin

Pour lui, la frontière entre philosophie et développement personnel n’est «pas très claire». «J’ai toujours aimé, chez les philosophes, ceux qui étaient intéressés par le développement de la personne singulière: Bergson, Nietzsche… Pour moi, il n’y a pas de guerre avec le développement personnel. Il y a de mauvais livres qui n’aident personne tellement ils sont mal faits», dit-il.

Sa consœur philosophe Julia de Funès, qui avait signé en 2019 un cinglant «Développement (im)personnel, le succès d’une imposture» (éditions de L’Observatoire), trace pour sa part une démarcation très nette avec les vendeurs de recettes toutes faites.

«La philosophie a des points communs avec ce que le développement personnel prend comme terrain, par son questionnement: qu’est-ce qu’une vie réussie, qu’est-ce que la confiance en soi? Mais pas du tout dans la méthode, pas du tout dans la rigueur», explique-t-elle à l’AFP.

Sénèque face à Instagram

D’après elle, «la philosophie est âpre, elle est rêche, elle demande une initiation, des intercesseurs ou des cours. On n’y rentre pas si facilement. D’où le succès du développement personnel: c’est très facile à lire, on a l’impression de tout comprendre et d’être très intelligent, alors que quand on lit un philosophe, on peut se sentir bête.»

D’où la nécessité de vulgariser. C’est ce que tente l’avocat Nicolas Lisimachio, avec Ils avaient tout compris: le développement personnel selon les penseurs antiques (éditions Hachette), qui sort mercredi. Cet amateur de philosophie antique rassemble des citations d’Aristote, Épictète, Plutarque et d’autres, qui lui paraissent toujours d’actualité pour mener une existence digne et heureuse à notre époque.

«Jaloux de quelques-uns, nous ne voyons pas quelle foule nous avons derrière nous pour nous envier»: cette phrase de Sénèque illustre, par exemple, que derrière la façade brillante d’une vie exposée sur Instagram, il peut y avoir quelqu’un qui aurait bien des raisons de vouloir échanger sa place avec la nôtre.

«Quand on prend un coach, on place dans quelqu’un d’autre l’espoir de nous aider à nous développer. Le grand avantage de ces philosophes antiques, c’est que si l’on fait un travail avec eux, grâce à eux, on peut réussir à devenir son propre coach. En apprenant à réfléchir sur soi, à se réévaluer, à remettre les choses en perspective», affirme-t-il à l’AFP.

Le déclin à venir du coaching

Charles Pépin, quant à lui, nous replonge dans les leçons du philosophe allemand Hegel et dans sa «dialectique», qui nous appelle à nous confronter à des forces contraires.

«Hegel nous invite à l’action (…) Le conseil pratique qui est la conséquence de la philosophie hégélienne, c’est de dire: ne te contente pas de tes certitudes intérieures, essaie de les prouver objectivement, de manifester ta valeur dans des œuvres, des réalisations», rappelle-t-il. «Quand après avoir expliqué cette philosophie à un lycéen pendant deux heures, on lui dit: maintenant tu comprends, il faut que tu sortes de chez toi, que tu fasses des choses, le conseil porte beaucoup plus que quand c’est un coach qui n’a pas lu trois livres dans sa vie, et qui nous fait faire de la muscu le matin en disant: maintenant tu te bouges!»

Julia de Funès prédit le déclin à venir du coaching. «On va le voir avec quelques années de décalage, mais le développement personnel était très en avance aux États-Unis, et là il commence à y avoir beaucoup d’usages critiques sur ces approches. Les gens en reviennent parce qu’ils voient que ça ne marche pas, qu’il n’y a pas de recettes, qu’il y a beaucoup d’idéologie individualiste derrière, dont on est un peu lassé.»

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