«Avec Possessor, La Nuée ou Teddy, on va se souvenir longtemps du 28e festival fantastique de Gérardmer»


INTERVIEW – Le directeur artistique de la manifestation Bruno Barde, commente les résultats de cette édition digitale et revient sur le bilan artistique d’un festival.

Pandémie oblige, depuis mercredi, les amateurs de cinéma fantastique, d’horreur et de frissons en tous genres se sont connectés, en nombre, à la 28e édition du Festival du film fantastique de Gérardmer, qui s’est déroulée entièrement en ligne.

Une première pour le directeur artistique de la manifestation, Bruno Barde, qui a pris le pari de transformer ce grand rendez-vous populaire du cinéma fantastique en un festival entièrement virtuel. Alors que le palmarès de cette édition si particulière vient d’être dévoilé, il revient sur la nécessité de maintenir de tels événements… envers et contre tout.

LE FIGARO. – Quel bilan dressez-vous de cette 28e édition numérique?

Bruno BARDE. – Le Festival du film fantastique de Gérardmer était en ligne. Mais il était en vie! J’ai préféré utiliser les ressources du numérique plutôt que rien du tout… Même si Gérardmer a été privé du public cette année à cause du Covid-19, nous avons maintenu un rendez-vous.

De quelle manière s’inscrit cette édition virtuelle dans la mémoire d’un festival tel que Gérardmer?

Gérardmer est un festival populaire mais exigeant. Plus que jamais, il a fait découvrir des grands films de genre, tels que Scream de Wes Craven, Heavenly Creature de Peter Jackson, Saw de James Wan, Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, It Follows de David Robert Mitchell, Morse de Tomas Alfredson, Dark Water d’Hideo Nakata ou Cube de Vincenzo Natali… Depuis 28 ans, ce festival est une référence en matière de cinéma fantastique. Et comme on mesure l’arbre à ses fruits, il était important de ne pas baisser les bras, même en cette période si terrible.

Que pensez-vous du palmarès de cette édition?

Je sais déjà que les trois films qui se détachent du palmarès de ce rendez-vous tellement spécial, à savoir Possessor de Brandon Cronenberg, le fils du légendaire réalisateur David Cronenberg, Teddy des frères Ludovic et Zoran Boukherma, et La Nuée de Just Phillipot sont de grands gagnants dont on va se souvenir longtemps. Ces trois films qui figurent en très bonne place dans le palmarès prouvent que c’est le cinéma qui continue. Il n’est qu’à voir l’engouement des jurys qui ont débattu… Je trouve ce palmarès intelligent et prévisible, en ce sens qu’il montre que le bon cinéma l’emporte toujours. Ce palmarès ne dénote pas au sein du festival. Malgré les intempéries, la pandémie et toutes les contraintes sanitaires imposées par le covid-19, il reste le reflet d’un genre plein d’invention et plus que jamais dynamique. Bien sûr, il brille d’une lumière plus spéciale. Mais elle n’en est que plus éclatante, car c’est la lumière de la nécessité, c’est un palmarès qui souligne le fait que le festival est toujours là, présent, avec le sentiment du devoir accompli.

Ne peut-on pas y voir un certain renouveau du cinéma fantastique français?

Oui. Depuis Grave, le film coup de poing de Julia Ducournau sorti en 2017, on voit que ce que l’on appelle depuis quelques années s’imposer à nouveau ce que l’on pourrait appeler la «French frayeur». Les cinéastes de l’Hexagone se réapproprient le cinéma de genre dans la lignée des Dario Argento, Franju et autres Martyrs de Pascal Laugier, le fantastique ne rebute plus. On découvre dans ces films une peur intelligente, européenne, qui s’appuie plus sur l’irrationnel, le climat ou les questionnements plutôt que sur les effets spéciaux. Ce genre fantastique à la française reprend du poil de la bête avec talent, notamment avec Teddy des frères Ludovic et Zoran Boukherma et La Nuée de Just Phillipot…

Pour quelles raisons selon vous?

De Fritz Lang dans M le Maudit, jusqu’à David Fincher avec Seven en passant par Hitchcock, Kubrick et même Chabrol, les grands cinéastes de tous les pays savent qu’à l’intérieur du genre fantastique on peut trouver une liberté absolue de la création. Je crois beaucoup à la liberté qu’offre le genre fantastique.

Que retiendrez-vous de Gérardmer en cette année si particulière?

Nous l’avons fait ! En réalité, deux options s’offraient à nous. Soit nous options pour un festival digital, soit c’était l’annulation. Nous sommes entrés en résistance. Après Deauville, dès le mois d’octobre, j’ai proposé à la Région Grand Est, au département, à la mairie et l’association des bénévoles du festival de Gérardmer de faire le pari d’une édition entièrement numérique.

« Il a fallu qu’on se réinvente. Nous ne voulions d’un ersatz de festival numérique »

Bruno Barde, directeur du Festival de Gérardmer

Le socle de confiance et de solidarité a joué. Je les ai prévenus qu’à partir du moment où nous faisions le choix du virtuel, nous ne pourrions pas revenir en arrière au cas où le covid aurait disparu. Tout le monde a suivi. Il a fallu qu’on se réinvente. Nous ne voulions d’un ersatz de festival numérique. Nous avons fait appel à la société Festival Scope, des professionnels qui ont conçu une plateforme, un outil très efficace contre le piratage et qui a pleinement rassuré les distributeurs et réalisateurs. De toutes les contraintes du covid est née une créativité sans précédent. Le 7 janvier dès l’ouverture de notre billetterie, plus de 400 Pass se sont vendus en une heure ! Les films attendus ont affiché complet au terme des cinq jours, qu’il s’agisse de La Nuée, Teddy, Possessor, Come True, Archive ou Beauty Water. Même chose pour les classiques restaurés et les courts-métrages proposés gratuitement. Quasiment toutes les séances étaient complètes sur les films… Alors voilà, nous sommes épuisés, mais très contents d’avoir réussi ce coup-là!


Palmarès complet du 28e Festival du film fantastique de Gérardmer:

GRAND PRIX : Possessor de Brandon Cronenberg (Canada et Royaume-Uni) The Jokers Films.

PRIX DU JURY : Sleep de Michael Venus (Allemagne) Program Store.

Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma (France) The Jokers Films.

PRIX DE LA CRITIQUE : La Nuée de Just Philippot (France) The Jokers Films.

PRIX DU PUBLIC : La Nuée de Just Philippot (France).

MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE : Jim Williams pour Possessor de Brandon Cronenberg.

PRIX DU JURY JEUNES : Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma (France) (The Jokers Films).

GRAND PRIX DU COURT MÉTRAGE : T’es morte Hélène de Michel Blanchart (France).

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