le livre-témoignage, arme pour briser de tabous


Un an après le livre de Vanessa Springora qui révélait au grand jour ce qui allait devenir l’affaire Matzneff, c’est de nouveau un récit en librairie qui brise un tabou, celui de l’inceste, par la voix de Camille Kouchner. La Familia grande paraît jeudi.

Dans son dernier ouvrage, Camille Kouchner donne la parole à son frère, qui aurait subi des attouchements de la part de leur beau-père. Une pierre de plus pour «donner de la visibilité aux incestes qu’on cache, qu’on tait». La fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner et l’universitaire Evelyne Pisier fait paraître jeudi «La Familia grande», aux éditions du Seuil, titre en espagnol qui reprend le surnom que se donnait une bande d’amis fascinés par la révolution cubaine.

L’homme accusé est une figure politique et médiatique: Olivier Duhamel, 70 ans, ancien député européen. Lui qui a immédiatement mis fin à toutes les fonctions qu’il occupait est visé par une enquête judiciaire.

Tout au long du récit, l’autrice de 45 ans ne lui donne qu’un nom: «mon beau-père». Elle modifie le prénom de la victime, son frère, fils de Bernard Kouchner âgé de 14 ans quand commencent les faits, pour l’appeler «Victor».

Ce témoignage a été tenu secret jusqu’à trois jours avant sa publication. L’exclusivité a été réservée au Monde et à L’Obs lundi.

«Je ne révèle rien»

Si cette histoire remontant à la fin des années 1980 est portée à la connaissance du grand public, elle n’était pas complètement ignorée. «Je ne révèle rien dans ce livre. Tout le monde sait» au sein de cette famille, a affirmé l’autrice au Monde .

«Tu verras, ils me croiront mais ils s’en foutront complètement», prédisait le frère de Camille Kouchner, quand il a commencé à faire connaître son histoire pour protéger d’autres enfants de son beau-père. «Il avait raison», constate-t-elle.

Le silence qui semble avoir protégé Olivier Duhamel, si les faits sont avérés, rappelle fortement celui que décrivait Vanessa Springora, un an auparavant, dans «Le Consentement», sur sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff, 49 ans quand elle en avait 14.

Que le livre de Vanessa Springora ait été bien reçu lors de sa parution en janvier 2020, «cela m’a fait un bien fou, oui», a confié Camille Kouchner à L’Obs . «L’écho public, ce n’est pas ce que je souhaitais, mais il m’a paru nécessaire pour donner de la visibilité aux incestes qu’on cache, qu’on tait».

«Il faut la lire»

D’autres livres de célébrités avaient déjà brisé ce tabou de l’inceste. L’actrice Catherine Allégret, en 2004, juste après le premier procès de l’affaire d’Outreau, avait raconté dans «Un monde à l’envers» les attouchements, enfant, et la tentative de viol, adulte, de son beau-père «abusif» Yves Montand. Le livre est largement oublié, et on avait beaucoup reproché à son autrice d’accuser un mort qui ne pouvait se défendre.

Claude Ponti, auteur de livres jeunesse, avait évoqué sous forme de fiction, dans «Les Pieds bleus» en 1995, les sévices sexuels qu’il avait subis enfant. Il ne nommait pas de coupable mais a désigné ensuite son grand-père.

Enfin Christine Angot avait fait des viols commis par son père le sujet de deux romans très controversés, «L’Inceste» (1999) et «Un amour impossible» (2015).

«Il faut lire Camille Kouchner. Il faut la lire parce que c’est la seule consolation possible de ce qui ne se consolera jamais», a écrit sur Twitter la romancière et journaliste Tristane Banon, qui a dénoncé pendant des années, sans être entendue, une agression sexuelle d’un autre homme célèbre, Dominique Strauss-Kahn.

L’inceste lui-même dure peu dans ce témoignage autobiographique, une dizaine de pages sur 200. Il surgit brusquement vers le milieu du livre, quand Victor dit: «Il m’a caressé et puis tu sais…» Et sa sœur de déplorer: «En ne désignant pas ce qui arrivait, j’ai participé à l’inceste».

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