L’espiègle Sabine Weiss, Prix «Women In Motion» 2020 de la photographie


Elle est Suisse de naissance, l’œil paisible formé par la plénitude des paysages de lacs et de montagnes. Mais elle est Parisienne de cœur et de pratique, tant son Paris la nuit, un homme qui court, un réverbère qui semble ployer comme un arbre, quelques traces de pas laissées dans la neige, ont marqué l’histoire de la photographie. Sabine Weiss, 96 ans, est l’incroyable doyenne de la photographie humaniste. Une femme que l’on rencontre pieusement et qui vous remplit de sa joie de vivre et sa malice.

Sabine Weiss et Rollei, 1953. Sabine Weiss

En ce mois de novembre, traditionnellement dédié à la photographie à Paris, et malgré l’annulation des Rencontres d’Arles à Laennec en raison des restrictions sanitaires, Kering et Les Rencontres d’Arles ont tenu à maintenir la deuxième édition du prix Women In Motion pour la photographie et «sont heureux de le remettre à la grande photographe Sabine Weiss pour l’ensemble de sa carrière».
Elle est toujours en activité, comme en témoigne cet été son exposition au Kiosque de Vannes (Sabine Weiss, Une vie de photographe, du 18 juin au 6 septembre 2020 et le livre qui l’a accompagnée).

Préfacée avec un texte de Marie Desplechin

Elle continue de publier aux Éditions La Martinière notamment. «Émotions», première monographie depuis 2003, soit 256 pages, 200 photographies et un texte de Marie Desplechin est actuellement librairie (click and collect! . Elle continue d’exposer : Les Douches la Galerie lui consacre une exposition monographique, « Sous le soleil de la vie » qui ouvrira ses portes au public dès le déconfinement, 5, rue Legouvé 75010 Paris et, ce, jusqu’au 30 janvier 2021.

Amoureux Jardin des Tuileries, Paris, 1985, par Sabine Weiss Sabine Weiss

Artiste prolifique à l’humeur toujours pétillante, elle a contribué à manière particulière – un réalisme heureux — à la photographie humaniste française, courant qui rassemble surtout des hommes, déjà fort connus et couronnés, Robert Doisneau, Willy Ronis ou Brassaï. À 96 ans, elle est probablement la photographe ayant travaillé sur la plus longue période, avec près de quatre-vingts années consacrés à son art.

Née en 1924 à Saint-Gingolph en Suisse, Sabine Weiss se dirige très jeune vers la photographie. Après un apprentissage de trois ans chez Paul Boissonnas à Genève, elle devient en 1946 l’assistante de Willy
Maywald, photographe allemand basé à Paris et spécialisé dans la mode et les portraits. Au moment de son mariage avec le peintre américain Hugh Weiss en 1950, elle se lance comme photographe
indépendante et fréquente, avec son peintre de mari, le milieu des artistes d’après-guerre.

Un appartement comme une boîte à souvenirs

Le couple s’installe et travaille ensemble dans une maison-atelier près de la porte Molitor, à Paris, où la photographe vit encore
aujourd’hui. C’est un appartement comme une boîte à souvenirs qui mêle le cabinet de curiosités, l’antre de l’art brut et le studio clair et net du photographe aux archives impeccables. Par l’entremise de Robert Doisneau, vers 1952, Sabine Weiss est une des rares femmes à rejoindre l’agence Rapho et son travail personnel est alors reconnu aux États-Unis.

New York, 1955, par Sabine Weiss Sabine Weiss

L’œuvre de Sabine Weiss se caractérise par la volonté de réconcilier l’espace public avec le corps humain. Cette audacieuse, derrière un abord tranquille, arpente les rues de nuit et de jour. Elle montre dans ses clichés des femmes et des hommes au quotidien, dans leur travail, dans leurs pensées. Sa vie conjugale heureuse et complice l’amène à photographier de nombreux artistes, peintres et sculpteurs mais aussi musiciens, écrivains et comédiens.

Dans son objectif, Françoise Sagan est une jeune fille bien élevée, cardigan et mise en plis, qui s’émancipe en posant sa machine à écrire sur le tapis persan (1954). Dans son objectif, le maître de l’art moderne, Alberto Giacometti, est une sculpture de plus, échevelée, ramassée et mutique, dans l’espace si réduit de son atelier parisien (1954). Dans son objectif, la fougueuse Niki de Saint Phalle est d’une beauté parfaite de statue sans le moindre maquillage ni costume glamour, des armes que la diablesse des Nanas saura utiliser à bon escient (1958).

En 1955 au MoMA dans Family of Man

Dans son objectif, Paris brille la nuit de tous ses pavés luisants comme l’étoile noire des contes, monde intemporel et désert que la pluie adoucit (L’homme qui court, Paris, 1953). Dans son objectif, les enfants de Paris et de ses faubourgs jouent en riant avec presque rien, transformant les débris de la rue en voitures de course (Enfant jouant rue Edmond-Flamand, Paris, 1952).

Niki de Saint Phalle, 1958, par Sabine Weiss Sabine Weiss

Elle est représentée dans les expositions Post-War European Photography (1953) et The Family of Man, l’album photo de l’après-guerre du grand Eward Steichen qui réunit 503 photographies de 273 auteurs originaires de 68 pays (1955) organisées au Museum of Modern Art de New York (1955), et bénéficie d’une exposition personnelle à l’Art Institute de Chicago (1954), avant que la Bibliothèque nationale de France ne montre ses photos
au Salon national de la photographie en 1955, 1957 et 1961.

Sabine Weiss travaille pour Vogue, le New York Times Magazine, Life, Newsweek, Point de Vue — Images du Monde, Paris Match, Esquire, Holiday. Jusqu’aux années 2000, elle n’a cessé de travailler pour la presse illustrée française et internationale, pour de nombreuses institutions et marques, enchaînant reportages, photos de mode, publicité, portraits de personnalité et sujets de société. La Catalane de Paris, Marta Gili, alors directrice du Jeu de Paume, lui consacre sa première rétrospective muséale en 2016.

L’homme qui court, 1953, par Sabine Weiss © Sabine Weiss

En mars 2019, le groupe de luxe mondial Kering et Les Rencontres d’Arles ont annoncé leur partenariat et le lancement à Arles du programme Women In Motion dédié à la photographie (un prix de cinéma existe déjà, remis tous les ans au Festival de Cannes). Il a pour ambition de saluer chaque année la carrière d’une artiste remarquable.

Cette récompense est accompagnée d’une dotation de 25.000 € en acquisition d’œuvres de l’artiste lauréate pour la collection des Rencontres d’Arles (parmi celles-ci, Arles oblige, Petite gitane et Manitas de Plata aux Saintes-Maries-de-la-Mer, 1960, et Baptême gitan, Les Saintes-Maries-de-la-Mer, 1960 ). Le premier Prix Women In Motion pour la photographie a été décerné en 2019 à l’intrépide photographe américaine Susan Meiselas qui est venue en personne recevoir son prix dans une soirée très enthousiaste au Théâtre antique.

Quand Sabine Weiss recevait Le Figaro. François Bouchon / Le Figaro.

Kering et Les Rencontres d’Arles ont également créé, en 2019, le Women In Motion LAB. Il a été dédié, ses deux premières années, à un projet de recherche qui a permis la valorisation de la place des femmes photographes dans l’histoire mondiale de cet art. Dirigé par les historiennes Luce Lebart et Marie Robert, avec l’aide de 160 plumes sur chaque continent, Une histoire mondiale des femmes photographes retrace le parcours et l’œuvre d’environ 300 femmes qui ont marqué la photographie depuis ses origines (Textuel/ Arles, les Rencontres de la Photographie, 503 pages, 69€).
Kering s’associe par ailleurs pour la première fois avec Paris Photo et renforce ainsi son engagement auprès des femmes photographes en soutenant le parcours Elles X Paris Photo 2020, créé à l’initiative
du ministère de la Culture. Cette année, pour pallier l’annulation de l’édition 2020 au Grand Palais, ce parcours devient digital sur ellesxparisphoto.com. Ce site internet présente l’ensemble des artistes du parcours dont une trentaine de photographes interviewées sur leur statut de femme artiste, leurs engagements et leurs inspirations. Sabine Weiss, lauréate du Prix Women In Motion 2020, fait partie de ce parcours digital.

Petite gitane et Manitas de Plata aux Saintes-Maries-de-la-Mer, 1960, par Sabine Weiss. Elle fait partie des photographies choisies par Les Rencontres dans le cadre de la dotation. © Sabine Weiss

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