Avec Mandibules de Quentin Dupieux, Venise se gondole enfin


Le soleil brille, les oiseaux chantent, les vaporettos naviguent et les festivaliers voient des films mais la tension est palpable sur le Lido. La crainte de transformer la Mostra en cluster cinéphile empêche de se laisser aller. On retient les gestes, les contacts et les émotions sans doute aussi un peu. Comment être heureux dans un monde malheureux ? Quentin Dupieux n’a pas la réponse mais il a réussi à nous faire oublier pendant 77 minutes la pandémie, la casse sociale et le marasme actuels. Mandibules, son nouveau film présenté hors compétition samedi matin Sala Grande, a déclenché des rires et affolé l’applaudimètre.

Depuis la sélection du Daim à Cannes l’année dernière, en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, le Français Dupieux n’est plus un inconnu pour la critique internationale. Et la presse étrangère n’a pas boudé son plaisir avec l’une des rares comédies montrées à Venise qui, comme tous les grands festivals, n’est pas du genre à se gondoler.

Dans Mandibules, on retrouve Grégoire Ludig, le partenaire de Benoît Poelvoorde dans Au Poste !, du même Dupieux. Il n’a pas le « style de malade » de Jean Dujardin dans Le Daim. Cheveux longs et barbe douteuse, Manu dort sur la plage. On lui propose une mission payée 500 euros : récupérer une valise chez un nommé Michel Michel et la livrer à quelqu’un. Il vole alors une Mercedes jaune déglinguée et embarque son meilleur ami Jean-Gab (David Marsais, son acolyte du Palmashow, lui aussi affublé d’une coupe affreuse). Mais, à peine partis, les deux pieds nickelés découvrent une mouche dans le coffre de la voiture. Une mouche de la taille d’un gros chien. Ils ont alors une idée de génie : se faire de l’oseille avec la mouche en la dressant comme un singe. « C’est comme un drone, c’est même moins chiant qu’un drone, y a pas de piles à mettre dedans, et ça nous ramène ce qu’on veut. »

Après le pneu serial-killer dans Rubber, la mouche apprivoisée dans Mandibules ? Pourquoi pas, Dupieux ne recule devant rien et surtout pas devant les idées les plus débiles. Il a un talent inouï pour les transformer en comédies absurdes et délirantes. Comme toujours, Dupieux regarde les idiots avec une certaine tendresse. Il nous rappelle surtout que ce ne sont pas eux les plus fous. Les gens normaux peuvent aussi être tarés et irrationnels, voire sans doute plus.

Mandibules prend ainsi toute son hilarante et inquiétante étrangeté quand le duo d’abrutis se retrouve invité dans une maison avec piscine par un groupe d’amis a priori en bonne santé mentale. Manu et Jean-Gab cachent à leurs hôtes la mouche, baptisée entre-temps Dominique et abrutie par les calmants, jusqu’à ce qu’Adèle Exarchopoulos ne découvre la bestiole. Une Adèle Exarchopoulos démente en fille affectée d’un problème vocal depuis un accident de ski : elle ne crie pas, elle ne peut pas s’empêcher de parler très fort même en serrant les dents. On ne révélera pas qui a mangé le chien. On ne dévoilera pas non plus la façon dont se «checkent» Manu et Jean-Gab (« Taureau bonne nuit », «Taureau mensonge », « Taureau émotion »…). On notera la présence d’India Hair et du rappeur Roméo Elvis, convaincant dans petit rôle de blaireau (pas l’animal, l’autre).

Mandibules ressemble à un scénario de David Cronenberg tourné par les frères Farrelly (période Dumb and Dumber). Il ne ressemble surtout à pas grand-chose de connu dans le paysage de la comédie, sinon à un film de Dupieux et c’est tant mieux. Le réalisateur n’aura pas le temps de flâner à Venise. Il attaque lundi le tournage de son nouveau long-métrage, Incroyable mais vrai, avec Léa Drucker, Alain Chabat et Anaïs Demoustier. On a déjà hâte de voir ça.

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