Nicolas Davy, traqueur d’instant animal en milieu urbain


Il arpente un terrain hostile. La jungle parisienne. Un environnement urbain qui abrite des centaines d’espèces animales quand on prend le temps d’ouvrir l’œil. Nicolas a décidé d’en faire ses muses. À 7 heures du matin, un samedi du mois d’août, il est le premier devant les portes du parc de l’île Saint-Germain au sud-ouest de Paris. Son long téléobjectif en tissu de camouflage, sa casquette kaki, son sac à dos et son pantalon de randonnée trahissent sa passion : la photographie nature. Et ses baskets de ville, blancs immaculés, le milieu urbain dans lequel il la développe. «J’ai grandi ici, j’arpentais déjà ce parc enfant. J’en connais les moindres recoins et désormais presque tous les occupants», commence l’ingénieur de 37 ans, qui consacre tout son temps libre à magnifier le règne animal qui l’entoure. Son objectif : susciter l’émotion par la beauté et montrer que l’on peut réaliser des images d’animaux de qualité, même à deux pas du périphérique.

« Le potentiel artistique d’un lieu dépend plus de l’œil du photographe que des sujets que l’on y trouve »

Nicolas Davy

«J’ai appris à regarder différemment mon environnement quotidien grâce à la photographie. Oh stop, un lapin de garenne !, s’enthousiasme en chuchotant Nicolas, à cinq mètres du mammifère. En ville, on n’a pas d’ours ni de loups, mais on bénéficie d’une proximité inégalée avec la faune urbaine, notamment les oiseaux.» Le parc de l’île Saint-Germain, à quelques mètres du siège social de Coca-Cola, en dissimule une soixantaine d’espèces différentes, visibles à l’année. La ville abrite des animaux moins farouches que les grands espaces sauvages. Ils sont habitués à la présence humaine, ce qui facilite leur approche, mais n’empêche pas le spécialiste des drones de passer des heures allongé dans l’herbe, les genoux terreux, en retenant son souffle au moindre bruissement. «L’avantage, c’est qu’on n’a pas à affûter ni à masquer notre odeur», sourit-il.

Le plumage coloré de la mésange bleue se détache sur le flou artistique créé par l’artiste. Nicolas Davy

Tout un monde animal devant sa porte

«Je n’ai pas de lynx près de mon appartement alors j’essaie de sublimer des rouges-gorges, plaisante le photographe. J’aime m’émerveiller devant ces petits êtres, même si je sais que ce ne sont pas eux, jugés trop banals, qui me feront gagner un grand prix de photographie nature», admet le passionné qui a appris tout seul à manier son Canon EOS 5D mark III. Il a pourtant été plusieurs fois sélectionné dans des concours internationaux, comme celui de Namur en Belgique, en 2017 et 2019.

« Les espèces les plus communes restent spectaculaires à mes yeux. Dans son jardin ou dans le parc du quartier, il y a un monde animal fascinant qui mérite d’être mis en lumière »

Nicolas Davy

«Je ne veux pas prendre l’avion pour aller photographier des espèces en voie de disparition à l’autre bout de la planète car j’aurais l’impression de contribuer à leur disparition», déclare l’artiste qui préfère se limiter à une zone géographique à laquelle il peut accéder en métro ou RER. Un choix qui aide à la dimension artistique de ses clichés. «Je ne suis pas contraint par le temps, je peux me concentrer sur une espèce précise que je veux mettre en valeur. Si je n’ai pas ma photo le jour même, je l’aurai le lendemain», explique-t-il en saluant deux promeneurs matinaux. S’il se rend régulièrement au Château de Vincennes, ce n’est pas pour son histoire, mais pour les familles de faucons crécerelles qui y règnent depuis des années. «La photographie animalière en zone urbaine risque d’être l’avenir de cette spécialité car l’habitat prend de plus en plus de place sur les espaces naturels», souligne le Francilien.

Les hérons cendrés ont une allure majestueuse sous la neige. Nicolas Davy

Des bruits de branches cassées se font entendre. Ce n’est pas un renard, mais un «Thierry sauvage» qui surgit d’un fourré. Lui aussi est un photographe habitué des lieux. Comme eux, ils sont des centaines à écumer les bois de Boulogne, Vincennes et autres parcs métropolitains à l’aube ou la tombée de la nuit à la recherche d’animaux. Et de sensations. Nicolas vibre pour cette seconde magique où il déclenche le bouton à l’instant décisif. «Après des heures d’observation, je me familiarise avec les sujets que je photographie. Réussir à capturer un moment de vie animale et à le rendre artistique procure un sentiment indescriptible. On peut en trembler d’émerveillement», témoigne-t-il, conscient que sa passion le plonge dans une bulle isolée du reste du tourbillon parisien. «Lorsqu’un rapace comme l’épervier vient nicher dans la capitale, c’est chronophage, je pars en repérage très tôt avant d’aller au bureau, j’y retourne le soir et j’y passe tout mon week-end. Je peux réaliser quarante heures d’observation en dix jours», reconnaît-il, songeant à freiner ses ardeurs à l’approche de la quarantaine. Son activité lui permet toutefois de «rencontrer des passionnés de milieux très différents : chômeurs, gardiens de nuit, employés de mairie, scientifiques…», mus par un même élan créatif et naturaliste.

«On va se poser et écouter», signale Nicolas devant un petit escalier de pierre entouré de haies. «Là, ce chant métallique, c’est une fauvette», affirme-t-il à l’aveugle, «et là ce sont des perruches à collier, très bruyantes», poursuit-il, attentif au moindre frémissement. En ornithologie, 90% des contacts se font à l’oreille. Toutes ses connaissances biologiques, l’ingénieur les a acquises en lisant et en utilisant des applications spécialisées. Deux perruches vertes au bec rouge s’installent sur une branche. Mais le vert sur le fond bleu du ciel ne convainc pas le photographe, qui préfère passer son chemin.

Pinson des arbres sous la neige. Nicolas Davy

L’architecture urbaine, source d’inspiration

Paris offre un vaste terrain de jeu que l’artiste exploite dans la composition de ses images. «Les immeubles et les lumières ne gâchent pas tout, au contraire, ils apportent des éléments originaux et peuvent donner de la puissance à une photographie». Comme pour la faune qui l’entoure, Nicolas fait corps le décor urbain.

« Ponts, phares de voiture et rambardes peuvent faire ressortir le plumage, le pelage ou les écailles du moindre sujet. On peut faire de très belles photographies en ville »

Nicolas Davy

Nicolas est un esthète. Ce qui l’intéresse dans la photographie, c’est d’abord l’aspect graphique de la discipline. Ses premiers modèles étaient d’ailleurs des murs de street art et ce n’est qu’à 27 ans qu’il s’est intéressé à la faune urbaine et périurbaine. Ses clichés témoignent d’une recherche artistique exigeante. «Il m’arrive de passer quatre heures autour d’une même mante religieuse, variant les angles, apportant une lumière d’appoint pour faire contre-jour, et modifiant le flou pour obtenir une image satisfaisante». Son travail intéresse peu les galeries de la capitale, qui ne le considèrent pas comme de l’art, mais il lui arrive parfois de vendre quelques tirages depuis son site internet ou d’être publié dans des magazines spécialisés. En ce moment, une dizaine de ses photographies sont affichées au parc de Bagatelle du bois de Boulogne.

En contemplant des geais, Nicolas note que certaines espèces comme les écureuils ou les rouges-gorges bénéficient d’un fort capital sympathie alors que les images de prédation ne trouvent pas de public. «Pourtant, c’est un instant sauvage spectaculaire et photogénique.» Si le chasseur d’images rêve d’éditer un livre, il n’est pas encore prêt à débourser 5.000 euros dans un tel projet. «La photographie nature, les gens aiment bien, mais malheureusement, ça n’est pas vendeur, on n’en vit pas.»

Des lapins amoureux dans la nuit parisienne. Nicolas Davy

Les aléas de la ville

Le Francilien doit aussi composer avec un autre type de faune urbaine. Il lui est déjà arrivé de se faire voler son matériel ou d’être importuné par des passants. Or un objectif peut atteindre 3.000 euros. Nicolas passe tout son budget loisir dans la photographie. «Une fois, un groupe de jeunes m’a jeté des pommes pour tenter de me dérober mon appareil. Mais entre des petits délinquants et risquer de se faire tuer par un chasseur maladroit en montagne, je ne sais pas ce qui est le pire», ironise l’artiste en se dirigeant vers un buisson particulièrement bourdonnant. En ville, plus qu’ailleurs, il doit se lever aux aurores ou sortir de nuit pour éviter la foule journalière. Et ses prises de vues dans des espaces publics suscitent immanquablement la curiosité des promeneurs. «C’est un peu too much non, cet immense objectif, pour un simple lapin ?», l’interpelle un marcheur indiscret. C’est l’occasion pour lui de partager sa passion et de sensibiliser les habitants sur le monde caché qui les entoure. D’autres fois, c’est plus frustrant. «Je me souviens d’une sortie près de Bercy, où nous étions une dizaine de photographes réunis autour d’un torcol fourmilier, un oiseau ultra-rare qui ne passe qu’une fois tous les quinze ans dans la capitale. C’était la vedette du jour. On vivait notre festival de Cannes, tous allongés dans l’herbe comme des paparazzis, et là, des touristes passent devant nos appareils en faisant les pitres… Ils ont failli tout gâcher !», raconte-t-il.

Une mouette rieuse dans la Ville lumière. Nicolas Davy

Il sait que les joggeurs vêtus de jaune fluo ont autant que lui le droit d’arpenter les espaces publics, alors il s’arrange pour qu’ils soient hors cadre et croise les doigts pour que les aboiements des chiens ne fassent pas fuir les volatiles. La photographie animalière, c’est comme pour les champignons : il faut parfois garder des coins secrets pour préserver les espèces de l’envahissement humain. «Je me suis fait avoir une fois en divulguant un repère de mantes religieuses dans le 92, désormais, je fais attention», confie-t-il. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Île-de-France est la région qui compte le plus de photographes animaliers (plus ou moins sérieux) au kilomètre carré et la pression d’observation y est très importante. Si Nicolas n’a pas remarqué de changements de comportement des animaux depuis la fin du confinement, il est témoin depuis quelque temps de la raréfaction de certains individus. «Le bouvreuil pivoine, petit oiseau bouboule orangé a quasiment disparu du territoire», note-t-il à regret.

« Il ne faudrait pas que la qualité des images masque une réalité environnementale désastreuse : on photographie les restes. »

Nicolas Davy

Au détour d’une mare, il confie ses craintes quant à son art : «Il ne faudrait pas que les progrès techniques du matériel ne masquent une réalité environnementale désastreuse : on photographie les restes. Les splendides clichés d’ours polaires me font toujours un drôle d’effet.» Un éclair bleu turquoise rase la surface de la Seine à trois reprises. Un martin-pêcheur pressé semble-t-il. «C’est signe que le lieu est sain», commente Nicolas, qui n’a pas eu le temps de dégainer son objectif. Son week-end a bien démarré : en l’espace de trois heures, il aura croisé plus d’animaux que d’êtres humains. «Maintenant il faut supprimer les centaines d’images ratées et traiter les rares photographies potables sur l’ordinateur», conclut le passionné. La photographie animalière, c’est décidément beaucoup de patience.

Si Nicolas se rend souvent au Château de Vincennes, ce n’est pas pour son architecture, mais pour les faucons crécerelles qui y règnent depuis des années. Nicolas Davy

Site web : nicolasdavy.fr / Instagram : Nicolas Davy

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