André-Paul Duchâteau, l’autre père de Ric Hochet tire sa révérence à 95 ans


Avec sa fine moustache, son regard pétillant et son sourire en coin, il avait le charme des écrivains policiers qui savent rire de tout, alors qu’ils passent leur vie à mettre en scène la mort… de la plus terrible manière possible.

André-Paul Duchâteau, considéré comme l’un des plus prolifiques maîtres du roman policier en bande dessinée, co-créateur de Ric Hochet avec le dessinateur Tibet (disparu en 2010), s’en est allé à l’âge vénérable de 95 ans, le 26 août 2020, à Uccle, dans la banlieue de Bruxelles. C’était un peu le Simenon du 9e art.

Né le 8 mai 1925 à Tournai, fils d’un général d’aviation passionné par les histoires policières, le jeune André-Paul se passionne très jeune pour les intrigues d’Agatha Christie, Charles Dickens ou John Dickson Carr. Il dévore également les romans du créateur de L’Assassin habite au 21, Stanislas-André Steeman, qui paraissent dans l’hebdomadaire Le Moustique.

À̀ seize ans, il publie un premier roman, Meurtre pour Meurtre, dans la collection « Jury », dirigée par Steeman. Ce dernier devient son mentor et confident. Par la suite, il gagnera le Grand prix de la littérature policière en 1974 avec De cinq à sept avant la mort.

Alors qu’il est directeur commercial dans une grande imprimerie belge, il rencontre Tibet qui vient d’être engagé comme «petite main» par deux dessinateurs de la société. Tibet et Duchâteau sympathisent très vite, jouent au Ping-pong après les heures de bureau et se découvrent une passion commune pour les intrigues policières.

Galop d’essai prometteur

En 1955, alors qu’ils travaillent tous les deux pour le journal Tintin, sous la direction de Raymond Leblanc, ils ont l’opportunité de créer Ric Hochet, un petit vendeur de journaux à la criée âgé de 14 ans, qui malgré son jeune âge possède déjà toutes les qualités requises d’un bon enquêteur. Cette première enquête de 4 pages montre le jeune garçon à la tâche. Vendeur de «La Rafale», il prend en filature trois espions sans scrupule, dont l’un d’entre eux est un agent du contre-espionnage infiltré. Grâce à son flair et son sens de l’observation, Ric Hochet dénouera cette affaire avec brio: «Les deux espions sont entrés dans le pays cet après-midi. Or, le quotidien que vous avez en poche ne porte qu’une étoile. Cela signifie que c’est l’édition du matin!» Futé le gamin!

Après ce galop d’essai prometteur, le tandem Tibet-Duchâteau se met en place. Leur amitié profonde leur sert de ciment pour les soixante ans de création à venir. André-Paul Duchâteau le reconnaîtra lui-même : « Il faut une immense amitié́ pour êêtre capable de travailler une soixantaine d’années avec quelqu’un, sans jamais se disputer. Avec Tibet, nous n’avons pas vu le temps passer et nous nous sommes vraiment amusés… Cela a été une belle aventure ! »

Ric Hochet, figure emblématique du 9e art

Après une escapade professionnelle de quelques années au Congo où Duchâteau dirige des journaux tels L’Avenir et Actualités Africaines, le journaliste écrivain revient en Belgique, et reprend contact avec son ami Tibet. «À son retour, raconte Tibet dans «Le Lombard – Un demi-siècle d’aventures», j’ai proposé au conseil de la rédaction de publier une énigme bimensuelle que les lecteurs devraient résoudre. La rubrique «Relevez le gant» connaît un immense succès. Dès lors nous pensons faire de Ric Hochet, le héros d’une série policière. André-Paul en imagine les scénarios et Mittéi en plante les décors…»

Tibet passe du style caricatural de Chick Bill à un trait plus réaliste. Ric Hochet devient une sorte de Rouletabille. Avec son éternelle veste pied-de-poule, blanche mouchetée de noir, ses pulls à col roulé bleu (puis rouge), sans oublier sa mèche orange, Ric Hochet s’impose rapidement comme un personnage emblématique du 9e art.

Avec son éternelle veste pied-de-poule, blanche mouchetée de noir, ses pulls à col roulé bleu (puis rouge), sans oublier sa mèche orange, Ric Hochet est une sorte de Rouletabille de la BD. Le Lombard.

Chroniqueur judiciaire au journal La Rafale, Ric Hochet possède un goût prononcé pour le mystère. Espiègle, goguenard, curieux et déterminé à résoudre tous les mystères qu’il rencontre, Ric Hochet épaule régulièrement le commissaire Sigismond Bourdon, sorte de réplique de papier de l’inspecteur Bourrel, célèbre dans le feuilleton télévisé Les cinq dernières minutes. L’autre personnage récurrent de cette BD policière est Nadine, la pétulante nièce du commissaire Bourdon avec qui Ric Hochet flirte gentiment.

Espiègle, goguenard, curieux et déterminé à résoudre tous les mystères qu’il rencontre, Ric Hochet est devenue au fil de ses enquêtes une figure incontournable de la BD franco-belge. Le Lombard.

Dans le journal Tintin, dès 1961, les premières enquêtes de Ric Hochet sont Traquenard au Havre, Mystère à Porquerolles ou encore Défi à Ric Hochet. Parmi les grands albums des années 60-70-80, on retient Les Jumeaux diaboliques, Ric Hochet contre Sherlock, Le Masque de la terreur, Le Double qui tue, Coup de griffe chez Bouglione, ou encore le terrifiant Les Spectres de la nuit.

Pendant plus de 60 ans, André-Paul Duchâteau a travaillé pour les plus grands dessinateurs, de William Vance à Kas en passant par Rosinski ou Daniel Hulet. Le Lombard.

Des années soixante aux années quatre-vingt, André-Paul Duchâteau est au faîte de sa carrière. Le scénariste travaille notamment avec William Vance (Bruce J. Hawker), Rosinski, puis Kas (Hans), Daniel Hulet (Pharaon), Christian Denayer (Yalek, Alain Chevallier, Les Casseurs) et, toujours, Tibet (Chick Bill, Les Peur-de-Rien). Sa production en bande dessinée atteint plusieurs centaines d’albums.

En 2000, dans l’album Les Romantiques, illustré par Éric Lenaerts, Duchâteau met en scène son admiration pour Gérard de Nerval. Casterman.

En 2000, dans l’album Les Romantiques, illustré par Éric Lenaerts, Duchâteau met en scène son admiration pour Gérard de Nerval. L’album Les Romantiques raconte l’histoire d’une amitié très étonnante, pétulante même : celle d’Alexandre (Dumas), fougueux auteur dramatique avec Gérard (de Nerval), écrivain et poète désargenté un brin rêveur. ? « Je l’avoue, expliquait au Figaro Duchâteau, on ne m’attend pas sur un tel domaine. Mais c’est justement ce qui me plaît. En signant le scénario des Romantiques, je montre une autre facette de ma personnalité. Car je suis tout particulièrement passionné par la littérature du XIXe siècle et par cette période de l’histoire de France. »

Lorsque son ami Tibet meurt en 2010, André-Paul Duchâteau arrête la série Ric Hochet au tome 78 intitulé A la poursuite du Griffon d’or et qui paraît en septembre 2010. Depuis le héros qu’il a co-créé a été relancé avec sa bénédiction grâce au tandem Zidrou (au scénario) et Simon van Liemt (au dessin).

«Stakhanoviste du récit illustré, écrit Patrick Gaumer dans son Dictionnaire mondial de la bande dessinée, André-Paul Duchâteau aura toujours privilégié la dimension énigmatique et fantastique. Avec plusieurs centaines d’histoires à son actif, il s’est imposé comme l’un des plus grands noms de l’écriture scénaristique franco-belge.» On ne saurait dure mieux.

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