Lyon, Bordeaux, Marseille, Strasbourg… Quelle culture dans les nouvelles villes écologistes ?


La culture chez les Verts ne peut pas se résumer au blé et au maïs. Les dernières élections ont placé huit maires écologistes à la tête de villes françaises de plus de 100.000 habitants, une situation inédite qui risque de bouleverser le secteur culturel. Mais de quelle façon ? Le seul exemple de grande ville verte en matière de politique culturelle, Grenoble, offre un bilan contrasté. Le développement de la «culture pour tous», chère à Éric Piolle, réélu pour six ans, n’a pas masqué de fortes baisses de subventions aux institutions. Et plusieurs polémiques ont contribué à peindre dans la cité des Alpes, le tableau d’une culture sacrifiée à l’écologie.

«La culture ne sera pas une variable d’ajustement», assure Anne Mistler, adjointe aux arts et cultures à Strasbourg. «Nous souhaitons insuffler un esprit différent motivé par nos valeurs écologiques, mais pas inventer une nouvelle culture», ajoute l’élue. L’Opéra national du Rhin, qui n’est plus adapté aux normes de sécurité sera par exemple remis en état, peut-être agrandi ou implanté ailleurs, dans des conditions de rénovation thermique respectueuses de l’environnement.

Certaines traditions pourraient bien être chamboulées. En juillet, le premier adjoint de la ville de Marseille, Benoît Payan a annoncé vouloir interdire les cirques animaliers dans la cité phocéenne, relançant le débat sur la captivité des animaux.

« Peut-être que certaines traditions culturelles seront modifiées car elles sont dépassées par rapport aux enjeux climatiques actuels. La « culture écologiste », si elle existe, est plus sobre mais créatrice de lien social. »

Christophe Dupin, délégué à la Culture et à l’éducation populaire à Tours

Finie également l’époque où chaque maire offrait un beau musée à sa ville ? À Lyon, Gérard Collomb avait inauguré en 2014 le Musée des Confluences. Ce mandat-ci, Grégory Doucet ne projette pas de construire de nouveau centre qui en mettrait plein la vue. Le budget culturel, qui représente 20% du porte-monnaie de la capitale des Gaules (environ 120 millions d’euros) sera sanctuarisé et rééquilibré en direction des plus petites compagnies ou des résidences d’artistes. Mais à Marseille, la liste des nouveaux équipements envisagés est longue : auditorium, musée multipolaire de la mer, agora des sciences, maison des calanques, institut des langues et cultures méditerranéennes. Il faudra faire des choix lors des Assises de la culture réunissant acteurs, usagers et élus.

Une culture participative et émancipatrice

C’est l’un des points de convergence des nouvelles municipalités écologistes : les habitants devraient être directement impliqués dans la politique culturelle de leur ville. «Les citoyens doivent être remis dans la boucle décisionnaire. Il faut que la culture soit pensée et proposée de façon plus horizontale», explique Christophe Dupin, délégué à la culture et à l’éducation populaire à Tours.

Et pour la rendre accessible à un autre public que celui qui est déjà converti, plusieurs maisons de quartiers doivent voir le jour notamment à Marseille. L’objectif étant que la culture irrigue l’ensemble d’un territoire, pas seulement son centre-ville. Dans la cité phocéenne, comme à Lyon, les mairies soutiendront les résidences d’artistes et les projets collaboratifs. «Pendant des années l’accent a été mis sur la diffusion culturelle, aujourd’hui nous voulons aussi impulser un mouvement de création dans la ville», indique Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la culture à Lyon.

Adultes comme enfants seront concernés. La plupart des nouvelles villes Vertes envisagent d’augmenter les cours artistiques dans les écoles. Tours et Poitiers visent notamment le label «Objectif 100% Ville éducation artistique et culturelle». À partir de la rentrée 2021-2022, à Tours, 100 classes maternelles et primaires participeront à un projet créatif avec des intervenants locaux. L’objectif étant que chaque petit Tourangeau puisse en réaliser au moins un durant sa scolarité.

À Lyon, l’équipe de Grégory Doucet souhaite augmenter l’offre en matière d’enseignement artistique et encourager les pratiques en amateur. JEFF PACHOUD / AFP

De l’art hors des murs

Pour que la culture profite à un maximum d’habitants, ce sera elle qui ira à leur rencontre. À Bordeaux, des prestations seront organisées dans les parcs et les jardins municipaux et chaque quartier de la ville sera doté d’un espace dédié aux arts. Une carte donnant accès à différents services culturels en fonction de ses revenus est prévue. De même à Marseille, l’équipe de Michèle Rubirola veut renforcer la médiation culturelle en créant notamment un site recensant toutes les propositions culturelles de la ville.

La municipalité de Strasbourg entend également développer l’art dans ses espaces publics : «Plutôt que de proposer des ciné drive en voiture comme cela peut se faire ailleurs, on préfère organiser des séances de cinéma en plein air. C’est plus écologique et vecteur de lien social», soutient Anne Mistler. Dans ce sens, Charles Reverchon-Billot, délégué aux droits culturels à Poitiers souhaite que les artistes puissent réinvestir les rues et dynamiser la ville sans être freinés : «Des fanfares pourront jouer pendant que les Pictaviens feront le marché. L’idée est de libérer les énergies, de soutenir toutes les formes d’expression artistique et de stimuler les prestations amateurs.»

Encourager les pratiques écologiques

Et l’environnement dans tout ça ? Si beaucoup d’institutions culturelles sont privées, les municipalités peuvent les pousser à être plus responsables. À Bordeaux comme à Lyon, les subventions seront désormais attribuées en fonction de critères environnementaux et sociaux. «Nous allons établir un système de bonus/malus pour subventionner les compagnies. Celles qui utiliseront une économie vertueuse ou respecteront la parité bénéficieront de bonus», détaille Nathalie Perrin-Gilbert. Mais pour rendre les théâtres et salles de concerts plus verts, il faut déjà établir qui pollue et à quelle échelle. «L’Opéra de Lyon dispose d’un système d’évaluation mesurant l’impact écologique de ses activités. Nous aimerions développer sur son modèle une forme de bilan carbone des institutions culturelles de la ville», poursuit l’élue lyonnaise.

Concrètement, les nouvelles municipalités écologistes peuvent établir une gestion mutualisée des décors et costumes d’un établissement, demander le recyclage des déchets d’une compagnie ou orienter leurs modes de communication (choix du papier…) pour éviter le gaspillage. «Lors de pots ou de vernissages, nous ne pouvons pas obliger à servir des produits locaux et bios, chacun est responsable», souligne Anne Mistler (Strasbourg). «Mais nous pouvons sensibiliser les acteurs culturels.»

Plus d’artistes locaux dans les festivals ?

Les Verts privilégieront-ils les spectacles d’artistes locaux au détriment de vedettes étrangères dont le voyage en avion dure aussi longtemps que la prestation sur place ? Pas forcément, estime Anne Mistler : «La notion même de festival suppose le croisement des artistes et il serait absurde de perdre en qualité de prestation en réduisant le nombre d’invités internationaux. Mais c’est une vraie problématique à laquelle on est confrontés.» À Tours, les artistes du coin sont mis en avant dès cet été : la ville a lancé «Les Inattendus», événement festif mettant en scène des compagnies locales pour reconnecter habitants des quartiers et créateurs pendant la crise sanitaire. «Il faut que les nouveaux projets culturels aient du sens et s’inscrivent dans le contexte écologique actuel», insiste Christophe Dupin. Hors festivals, les municipalités peuvent soutenir les artistes de leur territoire plutôt que d’autres dans leurs commandes d’œuvres publiques, comme à Lyon, pour «investir local».

Des spécificités propres à leur patrimoine

Les nouvelles villes Vertes ont des pistes de réflexion communes mais elles ont aussi des aspirations bien spécifiques pour développer leur rayonnement culturel. Strasbourg ambitionne par exemple d’obtenir le label UNESCO «Capitale mondiale du livre», forte d’une importante chaîne de production de livres et de bandes dessinées. Elle souhaite également explorer davantage sa position transfrontalière avec l’Allemagne dans de nouveaux échanges culturels. À Poitiers, le palais des Ducs d’Aquitaine, chef-d’œuvre médiéval, est un site très prisé des touristes. «À quelques mètres se trouve une cathédrale que le public ne connaît pas. Nous allons développer un parcours piéton autour de cet axe pour mieux mettre en valeur notre patrimoine historique», détaille Charles Reverchon-Billot.

La France comptera peut-être un septième Opéra national avec l’établissement marseillais. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Et dans le Sud, l’Opéra municipal de Marseille espère obtenir le statut d’Opéra national afin de bénéficier de nouveaux financements d’État pour une plus grande production de spectacles.

Riches de leur propre patrimoine, proches par les valeurs écologiques qu’elles partagent et confrontées à des défis communs, ces villes Vertes pourraient tisser ensemble un nouveau réseau culturel. C’est d’ailleurs ce que suggère Nathalie Perrin-Gilbert (Lyon) : «Il serait intéressant d’accueillir des compagnies de ces villes amies et de créer des partenariats à l’échelle nationale.» Les graines de ces nouvelles politiques culturelles sont plantées. Il n’y a plus qu’à les laisser germer pour voir ce que cela donne en termes de rendement artistique.

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