Les gendarmes à l’écran, une histoire d’honneur, d’amour et d’humour


La bâtisse imposante, presque solennelle du musée de la gendarmerie nationale, à Melun, présente les facettes les plus irrévérencieuses de la maréchaussée. Jusqu’au 28 février, l’ancien bâtiment militaire entièrement réhabilité en 2015, accueille l’exposition Les gendarmes crèvent l’écran, de Cruchot à Marleau.

Le Gendarme de Saint-Tropez, Capitaine Marleau, Section de recherches, Une femme d’honneur... Incarné aujourd’hui par la truculente Corinne Masiero, hier par le guignolesque Louis de Funès, en passant par les héros Xavier Deluc ou Corinne Touzet, le personnage du gendarme a pris, au fil du temps, du galon.

Dans une scénographie dynamique rappelant l’ambiance des plateaux de cinéma, l’exposition questionne l’image du gendarme, à la fois raillé et admiré, dans l’inconscient collectif par le truchement des écrans. «Nous avons fait l’unique choix de la fiction, sans passer par les images objectives des documentaires ou reportages, explique Bernard Papin, le commissaire de l’exposition. On s’en est remis à ce qu’Aragon appelait le “mentir vrai” : le risque de la fiction de nous renvoyer une image partielle, voire partiale du gendarme.»

Déclinée en cinq parties thématiques, la rétrospective inspecte les rouages qui ont façonné un personnage de fiction cantonné au départ à des rôles subalternes jusqu’à devenir un héros très présent particulièrement dans la production audiovisuelle. Une soixantaine d’extraits vidéo intégrés au décor ainsi que 70 objets et accessoires inédits, parmi lesquels la porte du cockpit de l’AirBus A300 pris en otage à Marignane ou la vraie carabine de l’affaire Dominici complètent une déambulation enchantée et édifiante.

Avant les écrans, l’exposition rappelle que l’identité visuelle très forte du gendarme s’est forgée via d’autres arts parmi lesquels les arts vivants ou la littérature. Le chansonnier du XIXe siècle Gustave Nadaud y contribua fortement en inventant la figure de Pandore avec la chanson Pandore ou les deux gendarmes. Le gendarme n’est alors qu’une silhouette, un type reconnaissable par son uniforme, ses couvre-chefs (tricorne, bicorne, képi), sa moustache, son fort accent alsacien ou gascon, guignolesque à souhait. Une image largement véhiculée par le cinéma, pendant des décennies. Simple figurant, il est celui qui, impassible, surveille les accusés, escorte les personnalités ou poursuit les braconniers. Une planche contact exposée de la scène du tribunal du film L’Affaire Dominici (1973) de Claude Bernard-Aubert avec Jean Gabin, illustre ce rôle d’arrière-plan. Un photogramme des Aventures de Rabbi Jacob, les fait apparaître dans leur fonction d’escorte des hautes personnalités de la République.

Le gendarme passif et obéissant, se cantonne ici à son rôle de gardien. Musée de la gendarmerie nationale

Mais le gendarme c’est aussi l’incarnation de l’autorité et de la loi que la télévision et le cinéma mettent en avant. Un cliché tiré des Misérables de Raymond Bernard en 1934 en est une bonne illustration. Un autre cliché issu du téléfilm Jacquou le croquant (1969), montre les gendarmes exerçant leur autorité sous la Restauration, quand leur corps était associé à un pouvoir brutal et abusif. Plus nuancé, le film La Belle équipe de Julien Duvivier met en scène, dans les années 1930, l’acteur populaire Fernand Charpin, incarnant la figure ambivalente du gendarme qui sait se montrer à la fois conciliant et intransigeant. À l’instar de Goupi mains rouges de Jacques Becquer, révélant des gardiens de la loi tutoyant et partageant un verre avec leurs concitoyens sans se départir de leur devoir.

Quoi qu’il en soit, douce ou brutale, l’autorité est soumise à la moquerie. Et le cinéma s’est emparé de ce potentiel comique. La veine humoristique du gendarme sur grand écran commence par des productions telles que Les Aventures des Pieds Nickelés en 1948, pour arriver au sacro-saint Gendarme de Saint-Tropez, largement évoqué dans l’exposition. L’interprétation de Louis de Funès va définitivement cristalliser cette vision goguenarde du gendarme. Et a ouvert la voie à une tradition caricaturale persistante, qui n’a pas empêché le gendarme d’accéder à un véritable statut de héros, notamment avec la création du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) en 1974, immortalisé par le film Peur sur la ville.

Jean-Paul Belmondo dans un hélicoptère prêté par la gendarmerie nationale pour une scène d’anthologie du film Peur sur la ville. Vicent Rossell

Le long-métrage d’Henri Verneuil marque la première apparition du groupe d’intervention, avec une scène d’anthologie où de vrais membres du GIGN investissent par les airs, aux côtés de Jean-Paul Belmondo, un appartement de la tour Avant-Seine à Paris. La brèche est ouverte. Le gendarme ne supplée plus, il devient un acteur essentiel dans la résolution d’enquêtes. Jusqu’à devenir un expert toujours plus reconnu. Aujourd’hui, Xavier Deluc illustre, depuis près de quinze ans, cet avancement du personnage à la télévision dans Section de recherches. Une scène reconstituée de la série ainsi que le matériel utilisé par les techniciens de la gendarmerie achèvent de nous en convaincre.

Si la partie lumineuse et héroïque des missions de la gendarmerie a émergé, le cinéma et la télévision se sont également emparés d’une dimension plus sombre de l’institution. Celle des temps troublés par la guerre où le gendarme devait appliquer la loi, quoi qu’il en coûte. Parmi les aspects moins glorieux, l’exposition aborde le rôle contesté des prévôtés pendant la Première Guerre mondiale. Capitaine Conan de Bertrand Tavernier en 1996, témoigne de cette police militaire qui n’avait pas bonne presse.

Le rôle du gendarme dans la mise en œuvre de la politique antisémite de l’État français durant l’Occupation inspirera davantage les réalisateurs, via plusieurs productions et surtout l’excellente série Un village français qui dans sa quatrième saison, notamment, aborde la question : « Les choses y sont vues avec une certaine nuance, révélant une institution prise entre sa nécessaire obéissance au pouvoir en place et l’éthique», analyse Bernard Papin.

Puis vint le temps, plus léger, des gendarmettes. Apparues la première fois dans Le Gendarme et les Gendarmettes (1982), le dernier de la série. Pittoresques, les clichés tirés du film exhument le regard atterré des hommes face à leurs collègues féminines, qui depuis ont parcouru un sacré chemin. «Ce n’est pas un grand film, mais il relève du document sociologique, estime le commissaire d’exposition. Certes, les femmes y sont vues à travers le regard goguenard et sexiste de leurs collègues masculins, mais le film a le mérite de les avoir sorties du rôle d’épouses de gendarmes pour prouver qu’elles pouvaient, elles aussi, endosser l’uniforme.»

Elles ont ouvert la voie à la féminisation du personnage, qui atteint son apogée avec le capitaine Marleau, héroïne de la série la plus regardée de France. Elle-même emboîte le pas à Corinne Touzet qui a ouvert le bal avec Une femme d’honneur, dans les années 1990.

Corinne Masiero a troqué l’uniforme pour un simple brassard et le képi pur une chapka. Jérôme Prébois

À son tour, l’exubérante capitaine Marleau apporte un regard nouveau et bouleverse l’institution. Le personnage a troqué l’uniforme pour un simple brassard, le képi pour une chapka et a imposé son truculent langage. «Marleau suscite les mêmes réserves que Cruchot à l’époque car elle véhicule une image un peu perturbante pour l’image du gendarme. Mais le succès de la série est tel, que nous ne pouvions pas manquer de nous interroger». Un brin provocante et hors des sentiers battus, elle n’en résout pas moins les enquêtes et se distingue par de fortes valeurs humanistes. Comme tout bon gendarme qui se respecte, elle fait régner l’ordre et la justice. Reste à savoir si la Chapka détrônera le képi…

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