le dernier roman de Timothée de Fombelle menacé de boycott aux États-Unis


Dans son nouveau roman Alma, le vent se lève, Timothée de Fombelle raconte les pérégrinations d’une jeune Africaine partie à la recherche de son frère. Le récit, situé au XVIIIe siècle en pleine traite négrière, pourrait toutefois ne pas voir le jour aux États-Unis et au Royaume-Uni, comme le confie l’écrivain français auprès du Point .

«On m’a dès le départ mis en garde», se rappelle l’auteur, qui s’est bâti une solide renommée au rayon des livres jeunesse avec ses deux sagas Tobie Lolness et Vango . «Sujet passionnant, mais trop délicat, m’a-t-on dit : quand on est blanc, donc du côté de ceux qui ont exploité les Noirs, on ne peut pas décemment s’approprier l’histoire de l’esclavage».

Un roman richement documenté

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir travaillé son sujet en profondeur. Pour écrire ce roman, Timothée de Fombelle a passé plusieurs années à se documenter, à voyager, à consulter des archives. Ayant lui-même vécu à Abidjan, en Côte d’Ivoire, l’écrivain s’intéresse depuis son plus jeune âge à cette terrible période de l’histoire.

«Mes parents nous ont un jour emmenés découvrir en voiture le chapelet de forts qui jalonnent la côte ouest de l’Afrique. […]J’avais treize ans, et ces forteresses désertes, à l’époque complètement abandonnées par la mémoire collective, m’ont donné la conscience presque physique de toutes les vies qui avaient transité par là».

Lui vient alors l’idée de se nourrir de cette expérience pour en faire un livre, qui parlera de l’esclavage non pas «du point de vue de ceux qui l’organisaient», mais «du côté du triangle que l’on n’évoque jamais». De là naît Alma, premier tome d’une saga de trois volumes, publié en France aux éditions Gallimard Jeunesse. Si le roman rencontre à sa sortie, à la mi-juin, un joli succès auprès des critiques littéraires, sa publication dans plusieurs pays anglophones reste donc menacée.

Qu’un homme blanc puisse endosser le rôle d’une petite fille noire, qu’un écrivain puisse raconter l’histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n’est évidemment pas la sienne, c’est pour moi la définition même de la littérature…

Timothée de Fombelle

Selon Timothée de Fombelle, Walker Books, son éditeur anglais, refuserait de sortir Alma aux États-Unis et au Royaume-Uni, par crainte d’une polémique dont le cœur serait l’appropriation culturelle. «Ils ont aimé le livre, mais, en effet, et pour la première fois, ils ne le publieront sans doute pas…», regrette l’auteur, récompensé de nombreux prix pour ses écrits.

Informer sur l’esclavage

Notion apparue dans les années 80, l’appropriation culturelle désigne le fait, pour une culture dominante, de reprendre des éléments d’une autre culture minoritaire ou dominée, en profitant de retombées économiques qui ne seront pas reversées au pays concerné. Sujet à controverse, le concept possède aujourd’hui encore des limites floues. Qu’en est-il d’un réalisateur ou d’un artiste blanc qui chercherait à rendre compte dans une de ses œuvres d’un épisode historique sensible d’une culture qui n’est pas la sienne?

En 2018, à Montréal, la pièce Kanata du dramaturge québécois Robert Lepage, a rencontré une polémique semblable. Racontant l’histoire des Premières Nations du point de vue des Amérindiens, le spectacle n’intégrait toutefois aucun membre de cette communauté dans son scénario ou sa distribution. Plusieurs militants amérindiens avaient alors reproché au dramaturge de participer à leur «invisibilisation» de la société.

«Qu’un homme blanc puisse endosser le rôle d’une petite fille noire, qu’un écrivain puisse raconter l’histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n’est évidemment pas la sienne, c’est pour moi la définition même de la littérature…», se défend de son côté Timothée de Fombelle. Alors que la littérature jeunesse est encore peu fournie sur le sujet de l’esclavage, avance l’auteur, le très documenté Alma permettrait justement aux enfants d’avoir accès à cette période de l’histoire. Avant de conclure : «Voilà ce que ce refus de publication signifie : mieux vaut que les enfants n’aient pas accès à ce livre, tant pis s’ils continuent d’ignorer la réalité de l’esclavage.»

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