La case BD – Les Cahiers d’Esther de Riad Sattouf ou les vertiges de l’adolescence à fond la trottinette !


Riad Sattouf a toujours été un observateur fin et averti de la société contemporaine. Souvent impertinent. Toujours plein d’humour. Depuis cinq ans, en parallèle de son autobiographie L’Arabe du futur, le réalisateur des Beaux gosses a entrepris de raconter la vie d’une jeune fille nommée Esther.

Avec cette série pleine de charme et d’effronterie, Sattouf s’est fait le porte-voix d’une jeune fille d’aujourd’hui. Année après année, l’auteur de L’Arabe du futur observe les transformations de celle qu’il a baptisée Esther. À travers les yeux de cette gamine qui devient une jeune fille, mine de rien, il en profite pour jeter un œil sur l’évolution de notre société. Son héroïne de papier a même fait l’objet d’une adaptation en dessin animé.

Chaque semaine, celle qui se cache derrière Esther se confie à Riad Sattouf. Elle lui raconte son quotidien, ses états d’âme, sa vision du monde. Riad Sattouf les met ensuite en mots et en images pour composer une planche de bande dessinée. «J’ai pris conscience qu’il y avait une tonalité différente dans ce cinquième tome, confie Riad Sattouf. Même si lorsque je dessine les chroniques d’Esther, j’ai le nez dans le guidon sans jamais vouloir analyser ce que je fais.»

Riad Sattouf le raconte volontiers: «Dans ce cinquième tome, il arrive à Esther d’avoir mauvaise conscience. Elle est moins naïve, plus nuancée dans ses propos.» AFP.

Dans ce volume-là, l’auteur de La vie secrète des jeunes a remarqué que son héroïne était plus sensible au monde extérieur que dans les précédents albums. «Esther est plus affectée par les problèmes de justice et d’injustice, explique le dessinateur. Je me souviens qu’il y a quelques années, je la trouvais un petit peu autocentrée, un rien pimbêche. Dans cet album, par exemple, elle se sent coupable. Lorsqu’elle revoit au supermarché Mitchell, le petit garçon harcelé qu’elle avait connu il y a quelques années en primaire. Elle remarque qu’il a bien grandi, qu’il est presque beau et surtout, elle culpabilise d’avoir suivi le mouvement sans raison. Avant, elle ne voyait pas du tout où était le problème. Maintenant, son rapport à la société a changé.»

Ce que l’on découvre dans ce cinquième tome, c’est que les «capteurs» d’Esther se sont développés. «Il lui arrive d’avoir mauvaise conscience, raconte Riad Sattouf. Elle est moins naïve, plus nuancée dans ses propos. Mais comme elle est toujours plongée dans l’adolescence, son humour est toujours aussi grinçant. Elle tourne tout en dérision, et c’est très rigolo à observer.»

La Case BD

Chaque semaine Riad Sattouf écoute une jeune fille (qu’il a rebaptisée Esther) lui raconter son quotidien. Ici, elle évoque à sa manière, le phénomène des trottinettes électriques qui ont envahi les rues de Paris… Éditions Allary.

Parfois, Riad Sattouf aime jouer avec les différents niveaux de narration dans ses albums. «C’est vrai, admet-il. Et pour cela, il faut avouer que la bande dessinée est un médium hyperpuissant. Mais je préfère toujours privilégier la lisibilité d’une planche, en me demandant en permanence si l’histoire que je raconte sera comprise par ma grand-mère bretonne! (Rires). Il se trouve que pour cette planche sur la trottinette, je me suis amusé à prendre le lecteur à son propre jeu. Il s’agit sans doute d’une page plus expérimentale que les autres.»

Dans cette page intitulée «Le délire», Esther raconte qu’elle a testé sur les trottoirs parisiens une trottinette électrique avec son frère Antoine. «Depuis quelque temps, il y a plein de ces trottinettes trop mignonnes. Partout, on peut les louer juste avec son tel.» En six cases, Riad Sattouf met en scène un rodéo de trottinettes à deux où l’héroïne fonce sur le trottoir en mode «On s’en bat les couilles»! Elle frôle les «vieilles mémés». Quand ils font une queue de poisson à une femme avec une poussette, la maman les réprimande: «Doucement, ça va pas vous» Et l’adolescente de lui répondre: «Mais ferme ta bouche!»

Retournement de situation

Mais badaboum! À la septième case, Riad Sattouf réserve un retournement de situation dont il a le secret… L’héroïne interrompt l’action et prend directement la parole. «Mais vous avez pas cru tout ça quand même?!? JAMAIS je ferais des trucs pareils.» Et d’ajouter dans la bulle suivante: «C’est des purs comportements de racaille!» Esther va même jusqu’à prendre le lecteur à témoin: «C’est un délire du dessinateur!» Avant de conclure par un: «Je hais les trottinettes.»

«Oui, sourit Riad Sattouf, souvent dans la manière dont la vraie Esther me parle, elle aime partir dans des délires. Et puis, ensuite, vient l’anecdote qu’elle veut me raconter. Ici , c’est exactement ça. Esther m’a vraiment raconté qu’alors qu’elle se promenait à Paris, elle a failli se faire écraser par une nana sur une trottinette qui lui a fait une réflexion désagréable. Elle en a alors ressenti des pulsions de violence assez fortes.»

Les deux cases qui décrivent la manière dont Esther imagine dans son lit les représailles qu’elle inflige à cette femme sont particulièrement cruelles. «Oui, c’est vrai, reconnaît Riad Sattouf. Mais ce n’est pas moi qui ai inventé ça. Je lui ai posé la question. Elle m’a répondu des trucs assez horribles, je lui crève les yeux, je lui fracasse la mâchoire à coups de pied. Elle se fait écraser par un camion poubelle… Moi, mon travail, c’est de transformer ses émotions en image, alors je suis obligé d’être très précis. Mais je n’aurais pas pu imaginer le coup du camion poubelle!»

Moi, contrairement à Esther, je trouve que c’est une ultra-bonne idée les trottinettes électriques. Mais c’est toujours pareil, ce mode de transport nouveau, se heurte à l’incivisme total des gens.

Riad Sattouf

Cet imaginaire visuel très violent provient sans doute des films d’horreurs que les ados visionnent en bande, et qui s’apparentent à des rituels de passages à l’âge adulte. «Tout à fait, analyse le dessinateur. D’ailleurs, moi à l’adolescence, j’ai gardé un souvenir très fort d’une séquence de Pulp Fiction, qui se déroulait dans un sous-sol.»

Et dans la vraie vie, que pense Riad Sattouf des trottinettes électriques? «Moi, contrairement à Esther, je trouve que c’est une ultra-bonne idée les trottinettes électriques. J’adore tous les modes de déplacements alternatifs, précise-t-il. Ça convoque chez moi tout un imaginaire lié au merveilleux et à la science-fiction. Mais c’est toujours pareil, ce mode de transport nouveau, comme le Skate, le Segway et d’autres encore, se heurte parfois à l’incivisme des gens. C’est toujours le même problème. Lorsque je suis allé au Japon pour présenter L’Arabe du futur, j’ai été sidéré par le grand civisme des Japonais, et notamment à vélo. J’adore les nouvelles pistes cyclables à Paris. Je fais beaucoup de vélo, je l’expérimente tous les jours. Les gens foncent, manquent de renverser les piétons, personne ne respecte les feux rouges, ça va dans tous les sens… C’est une couche d’incivisme qui se rajoute à toutes les autres… En même temps, je me dis que cela pourra me servir pour faire d’autres albums!» (Rires).

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