La case BD – Terence Trolley ou la fin de l’innocence


La Panaklay multinationale a financé un laboratoire de recherche secret. Jusque-là, rien de bien surprenant. Sauf que cette officine explore, grâce à son équipe de savants, les perceptions extrasensorielles de jeunes enfants. La base de cette recherche, à grand renfort de manipulations génétiques, vise à bloquer la « fontanelle» ces membranes qui séparent les os du crâne chez les enfants et libérer ainsi des capacités hors du commun. Le professeur Norton ulcéré par ces tests sabote le laboratoire et s’enfuit avec trois des cobayes, les plus prometteurs. Dix ans plus tard, la Panaklay a retrouvé la trace des enfants et du professeur… Norton demande à son neveu, Terence Trolley, un ancien militaire devenu collecteur de dettes, de les protéger…

Serge Le Tendre aime glisser ici et là des sens cachés dans les détails de ses scénarios, à commencer par les noms de ses personnages. «Si le célèbre chevalier Bragon de la Quête de l’oiseau du temps, comprenait les termes Bougon, Dragon et Bravache mélangés, il en est de même pour Neway. Le jeune enfant, victime des manipulations de la Panaklay porte un message dans son nom qui peut se décomposer en « New way» ou « nouvelle voie» lui qui est le symbole d’une potentielle évolution de l’être humain mais aussi un rappel que cette BD est un voyage initiatique pour le jeune cobaye», explique-t-il.

« Il m’arrive souvent de jouer avec des échos au sein de mes albums. Dans Terence trolley, la BD s’ouvre sur un gros plan sur les yeux d’un loup et se ferme sur le même gros plan mais cette fois sur les yeux de Terence», raconte encore le scénariste.

En haut la première case de la bd, en bas la dernière case. Cette symétrie est une volonté de Serge Le Tendre, le scénariste Éditions Drakoo

La Case BD décryptée par Serge Le Tendre et Patrick Boutin-Gagné :

Norton vient d’être abattu froidement par le mercenaire envoyé par la Panaklay. Neway, l’enfant taciturne, ne va pas supporter cette mort et va utiliser ses pouvoirs pour assouvir sa vengeance. Cette page est le point culminant de l’album. Après cette scène, plus rien ne sera jamais comme avant. Éditions Drakoo

«La mise en scène est une contrainte mais aussi un grand plaisir, partagé avec le dessinateur surtout quand il y a une osmose, poursuit Serge Le Tendre. Le premier lecteur, c’est le dessinateur. C’est lui le metteur en scène. Il a raison d’enrichir de son vocabulaire l’histoire. Je dis souvent que je n’écris pas des scénarios mais que j’écris des images. Patrick (Boutin-Gagné), joue énormément avec les silences et le tempo. J’aime quand le silence s’installe en amont ou en aval d’une séquence. Ça ajoute au drame qui est en train de se passer».

« La composition de la page est très riche. Dans le scénario j’avais 4-5 cases que j’ai transformé en une douzaine pour supporter cette richesse, décrypte Patrick Boutin-Gagné. On commence par une image en portrait qui plante le décor. Ensuite 5 plans horizontaux où le temps s’écoule lentement. Puis une série de gros plans accompagnés par une rotation de caméra. En BD, contrairement au dessin animé, c’est plus difficile de représenter le temps. Le temps est représenté par le temps de lecture par image et dialogue. Je me suis inspiré de Barry Windsor Smith, qui dessinait Conan dans les années 70. Pour jouer avec le temps, il répétait une case plusieurs fois en changeant un minimum de détails pour garder du mouvement et pouvoir tenir le rythme de publication. Dans mon cas j’utilise cette méthode pour ralentir le temps qui passe, pas pour en gagner. Je duplique la case en numérique et j’ajoute alors des détails, puis je refais tous les dessins lors de l’encrage.»

«La position du mercenaire vis-à-vis de Neway ne cesse d’évoluer dans cette planche, analyse encore le dessinateur. Dans la première case le soldat est à gauche, ses yeux sont au-dessus de ceux de Neway, il est supérieur. Dans la septième case, son regard est au même niveau grâce au gros plan. Et dans la dixième case, quand il se tue, il passe à droite, au second plan. L’enfant est devenu le maître, il est au centre de l’image.»

«La première case est un plan large, elle permet de justifier la scène. Il s’agit de vengeance ou de justice selon les lecteurs. Norton est au premier plan, assommé, Lilly essaye de le protéger. Sa ligne d’action est vers la droite, pour renvoyer le regard vers Neway qui toise le mercenaire. Ce dernier semble reculer, surpris par cet enfant stoïque et intrépide, reprend Patrick Boutin-Gagné. Pour renforcer le déséquilibre du soldat j’ai penché la case. L’histoire bascule dans cette planche. Neway est le seul personnage droit par rapport au sol dans cette case. Ça renforce sa résolution».

Le dessinateur le concède, le mercenaire a un physique stéréotypé, type armoire à glace et gueule cassée. Tandis que Neway est un enfant tout ce qu’il y a de plus innocent. On ne l’imagine pas capable de tuer. Le fait qu’il ne cille pas donne un incroyable impact à son acte.

«Je joue énormément avec les onomatopées, je les inclus dans les phylactères quand ce sont des éléments de dialogue, de situation, comme les points d’interrogation qui symbolisent le côté interloqué, la surprise du mercenaire. De la deuxième à la dixième case, la caméra s’approche des personnages. Tout d’abord des gros plans très lents, façon western spaghetti, jusqu’à la décision fatale. Cela permet de faire monter la tension. Dans la neuvième case, les yeux n’ont plus d’importance. Ce qui compte c’est le  »bang »prononcé et l’index de Neway qui se referme sèchement. Dans cette dixième case, le cadavre de Norton est au premier plan pour rappeler la raison de cette vengeance. Tout est immobile dans cette scène. Le chapeau de Norton ne bouge pas, les balançoires en arrière-plan sont figées, aucun animal ne passe, comme si le temps s’était arrêté. Tout est immuable face à la mort. Lilly a fini son mouvement. Elle est recroquevillée sur le corps de Terence. Ironiquement le seul qui bouge dans cette case est celui en train de mourir. C’est le point d’intérêt de cette case. L’œil du lecteur ne peut s’empêcher de s’attarder sur le soldat. C’est le pivot de la planche, de l’histoire, même.»

« Neway à ce moment tue non seulement le mercenaire mais aussi son innocence», conclut Serge Le Tendre.

Terence Trolley, éditions Drakoo, 14,50€

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