Tragiquement emporté le 2 avril dernier par des complications dues au Covid-19, Juan Giménez (1943-2020) était considéré comme un grand maître de bande dessinée de science-fiction, grandement salué par la profession, des plus grands dessinateurs américains tels Neil Gaiman, Mike Mignola, Matias Bergara, ou Francesco Francavilla qui lui ont rendu hommage sur Twitter.
Le cinéaste et scénariste Alejandro Jodorowsky a également réagi à la mort de Juan Giménez sur le site Actua BD, en précisant que ce grand artiste «ressemblait exactement à l’immortel Méta-Baron. Dans mon inconscient, Juan Giménez ne peut pas mourir. Il continuera, dessinant comme le maître guerrier qu’il était.»
Les hommages ont ainsi été unanimes jusqu’au galeriste Daniel Maghen qui fut le dernier à l’exposer en France il y a quelques mois: «Juan était un génie qui a marqué plusieurs générations de dessinateurs. Sa vie était dédiée au dessin. Il me racontait comment en Argentine il avait découvert Métal Hurlant et Pilote et à quel point cela avait changé sa vie. Il était honoré des prix qu’il avait reçus et qu’on pouvait apercevoir au-dessus de sa table à dessin. Il me disait encore il y a quelques mois sa fierté de dessiner les dernières couvertures de Star Wars. Il était toujours plein de projets.»
Voici les meilleurs albums qu’il a réalisé durant sa carrière:
● L’Etoile noire (1981) avec Ricardo Barreiro
Sur la planète Poseidon IV, petit monde en marge de la galaxie, le jeune Speed est un petit malfrat habile qui passe sa vie à échapper aux forces de l’ordre. Il se fait recruter par le mystérieux Braxtor qui a besoin de lui pour mener à bien une expédition particulière. Accompagnés d’une jeune et jolie pilote, Nadia, et par l’androïde mercenaire Vran, Speed traverse la galaxie pour plonger au cœur d’une étoile noire où ont échoués de nombreuses civilisations légendaires disparues depuis une éternité… Au coeur de terrifiant cimetière de vaisseaux intergalactiques l’attend un secret millénaire. Juan Giménez et le scénariste Ricardo Barreiro signent un splendide space opera, qui a marqué de son empreinte les auteurs de BD du début des années 80.
● Mutante (1985)
Avec Mutante, Juan Giménez réalise un superbe recueil de récits court de science-fiction, où il donne à voir ses très grands talents de graphistes, en mettant en scène de nombreuses batailles aériennes et d’autres mystères issus de l’antiquité égyptienne. On reste toutefois un peu sur sa faim du côté des histoires qui se terminent souvent sur une chute humouristique.
● Gangrène (1993) avec Carlos Trillo
Avec le scénariste Carlos Trillo, Giménez met en scène une histoire de SF très efficace. Tout commence dans une décharge des déchets toxiques couvrant tout le pays où croupissent ceux de l’ «Underzone» considéré comme des rats par la caste supérieure. Pourtant certains anciens se souviennent, grâce à de vieilles photos, qu’on vivait mieux il y a des siècles, au sein de ces cités futuristes. L’arrivée d’un homme tombé du ciel va tout chambouler et leur faire retrouver la mémoire… En filigrane, on peut lire dans ce space opera visuellement éblouissant une allégorie à peine masquée du tiers-monde en lutte contre l’indifférence des grandes puissances occidentales refusant de partager leurs richesses.
● Le Quatrième pouvoir (1989-2008)
La saga Le Quatrième pouvoir raconte tout d’abord l’odyssée d’Exether Mega, une jeune pilote de vaisseau militaire engagée lors de la guerre enragée entre les Humains et les Krommiums. Gagner la guerre n’est qu’un prétexte, Exether est en fait la victime d’une expérimentation scientifique visant à créer l’arme absolue. En réunissant quatre cerveaux, les scientifiques vont fabriquer une créature douée de pouvoirs cosmiques infinis, une créature suprême née de la fusion de quatre femmes qui échappera à tout contrôle… Avec les trois autres volumes, dessinés sur une décennie, Juan Giménez met en scène quatre destins de femmes au coeur d’un univers de science-fiction foisonnant, pleins de bruit et de fureur. On y découvre des batailles homériques, de l’action, des expérimentations scientifiques dangereuses, de l’humour et une critique sociale plutôt féroce… Sans oublier la virtuosité graphique d’un Juan Gimenez au sommet de son art.
● La Caste des Méta-Barons (1992-2017) avec Jodorowsky
Last but not least, voici peut-être ce que l’on peut considérer comme le chef-d’oeuvre de Juan Giménez. La Caste des Méta-Barons est une saga spatiale éblouissante, dérivée de l’univers de L’Incal de Moebius/Jodorowsky. Huit tomes extraordinaires où le bouillonnant «Jodo» conte l’histoire complexe d’une famille, comme s’il s’agissait des Atrides. Jodorowsky mélange ainsi le Dune de Frank Herbert aux grandes tragédies grecques. Pour expliquer qui est le Méta-Baron, Jodo et Giménez plonge les lecteurs au coeur d’une série de destins contrariés, de Honorata la Trisaïeule à Aghnar le Bisaïeul, en passant par Othon le Trisaïeul, Tête d’acier l’Aïeul…
Destins tragiques, incestes, parricides sont ainsi déclinés sur plusieurs générations au coeur d’un univers de science-fiction opératique. Le tandem tisse une magnifique parabole sur le pouvoir et la descendance. Cette tragédie guerrière plus grande que nature reste aussi flamboyante qu’incontournable.
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