Emmanuel Macron se rend mardi à Mulhouse pour évoquer la lutte contre le « séparatisme », avec la ministre des Sports. Les pouvoirs publics veulent endiguer ce phénomène.
C’est un dossier politiquement sensible, et encore plus à l’approche des élections municipales. Emmanuel Macron est attendu ce mardi à Mulhouse (Haut-Rhin) pour commencer à présenter sa stratégie de lutte contre le communautarisme et « le séparatisme » dans la République. Le chef de l’État va se rendre dans le quartier populaire de Bourtzwiller. Il y tiendra une table ronde avec des représentants d’associations sociales, culturelles, religieuses et sportives. Emmanuel Macron est notamment accompagné du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et de Roxana Maracineanu. La présence de la ministre des Sports n’est pas surprenante. Une partie de l’action du gouvernement contre les dérives communautaires vise en effet le milieu sportif.
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Le phénomène est difficile à « cerner, compte tenu notamment de la difficulté pour les services de renseignement à pénétrer ce milieu » et les « remontées d’informations de la part des fédérations et des clubs paraissent également faibles », soulignaient en juin 2019 les députés Éric Diard (LR) et Éric Poulliat (LREM), rapporteurs de la mission d’information sur « les services publics face à la radicalisation ».
Clubs, sport scolaire, en entreprise…
Mais le phénomène existe. « Le sport est un outil d’intégration, et c’est parce qu’il l’est que les prédateurs essayent de mettre la main sur les clubs les plus fragiles », décrypte auprès de l’Express le socialiste Patrick Kanner, ancien ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. En octobre 2015, une note confidentielle de 13 pages du Service central du renseignement territorial (SCRT) intitulée « le sport amateur vecteur de communautarisme et de radicalité » fuite auprès de RTL. « Le recrutement s’exerce principalement, voire uniquement, au sein de la communauté musulmane. Des facilités sont accordées pour prier. La mixité est bannie des bureaux de gestion ou des clubs. Le prosélytisme au profit de l’islam ou en faveur de la Palestine y devient monnaie courante », peut-on lire dans cette note.
Le sociologue Médéric Chapitaux évoque lui aussi « une évolution considérable des pratiques religieuses dans des clubs. Quand elle est exercée par plusieurs personnes au sein du même club, il se forme un noyau communautariste qui peut se transformer en club communautariste », estime cet ancien gendarme auprès de l’Express.
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L’ex-fonctionnaire du ministère des Sports note que certains musulmans « veulent faire des prières pendant la pratique sportive. Ce n’était pas le cas avant, maintenant c’est une demande récurrente », poursuit-il. « Il y a des clubs uniquement réservés aux hommes, et d’autres uniquement aux femmes », observe-t-il. Toutes les religions sont concernées par ces pratiques. Chapitaux évoque ainsi les clubs de foot avec des joueurs de confession juive « qui ne veulent plus jouer entre le vendredi et le samedi parce que c’est shabbat ». Le doctorant cite également des clubs où se retrouve la mouvance d’ultra-droite.
Outre les clubs, le sport se pratique également au niveau scolaire ou en entreprise. « C’est un mille-feuille, personne n’est régi par les mêmes règles », regrette Chapitaux. « Nous avons 350 000 lieux en France pour la pratique sportive. Le champ d’investigation est énorme », abonde Kanner. Une multiplication des structures et donc autant de difficultés à endiguer le phénomène de repli pour les pouvoirs publics.
Un réseau de « sentinelles de la citoyenneté »
Mais plusieurs mesures ont tout de même été prises ces dernières années. Les gouvernements ciblent certaines disciplines jugées à risques. « Des documents de Daech expliquent comment s’entraîner, en particulier en pratiquant la musculation et des sports de combat. Les auteurs des attentats de Madrid 2004 et de Londres en 2005 ont été recrutés dans des salles de sport », rappelle Chapitaux. En mai 2016, Manuel Valls présente son plan de lutte contre la radicalisation. Dans le domaine sportif, il prévoit notamment la création d’une mission nationale d’appui confiée à l’Inspection générale de la jeunesse et des sports, avec une cinquantaine d’inspecteurs référents dans les territoires pour réaliser ces contrôles.
Puis deux ans plus tard, quatre mesures du « Plan national de prévention de la radicalisation » concernent le sport. Parmi celles-ci figure le « développement d’une culture commune de la vigilance dans le champ sportif en lien avec les référents ‘radicalisation’ du ministère des Sports », « le développement des actions de contrôles administratifs » ou « l’identification dans chaque fédération sportive d’un ‘responsable de la citoyenneté' ».
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« Le ministère des sports s’est mobilisé pour lutter contre toutes les formes de dérives communautaires et la radicalisation en formant un réseau de 200 référents placés au sein des fédérations, des établissements et des services déconcentrés », précise à l’Express le ministère des Sports. « Ces ‘sentinelles de la citoyenneté’ forment un maillage territorial précieux pour veiller au respect du pacte républicain dont le sport est un acteur primordial », se réjouit l’entourage de Maracineanu.
Des enquêtes administratives de sécurité pour les éducateurs sportifs ?
La ministre des Sports entend désormais « consolider le premier cercle actuel des référents ‘citoyenneté’ et l’étendre à l’ensemble des fédérations en 2020 ». En plus de la prévention et de la formation, le ministère souhaite généraliser le « contrôle de l’honorabilité » des éducateurs bénévoles, expérimenté depuis octobre dans le Centre-Val-de-Loire. « Ces contrôles n’auront aucun impact en matière de lutte contre communautarisme et la radicalisation potentielle car ils seront basés sur le casier judiciaire », estime toutefois Chapitaux.
Dans leur rapport d’information, les députés Diard et Poulliat ont consacré plusieurs lignes aux éducateurs sportifs. Ils se prononçaient en faveur « d’une extension du champ des enquêtes administratives de sécurité aux éducateurs sportifs ». « Aujourd’hui, un fichier S ou inscrit au fichier FSPRT [Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste] peut très bien être éducateur sportif et conserver son poste », rappelle Chapitaux.
La menace du retrait des subventions
Diard et Poulliat plaident également pour « encourager l’État et les collectivités territoriales à utiliser davantage le levier du retrait de subventions aux structures sportives cautionnant ou favorisant la radicalisation de leurs membres ». De son côté, Médéric Chapitaux propose plutôt de redonner aux préfets la compétence pour délivrer l’agrément à toutes les associations sportives, affiliées ou non à une fédération. Compétence qu’ils ont déjà eue par par le passé. Mais une ordonnance de juillet 2015, portant sur la simplification du régime des associations et des fondations, a modifié les conditions d’agrément d’une association sportive. Depuis, leur affiliation à une fédération sportive agréée par l’Etat vaut agrément.
Ce pouvoir des préfets « permettrait d’étiqueter le club concerné comme potentiellement déviant » et « permettrait aux dirigeants de ces clubs de se rendre compte que leur mode de fonctionnement ne correspond pas aux valeurs de la République », veut croire Chapitaux. « Ce serait une vraie alerte dans la société », estime-t-il. Mais, pour le moment, « il y a des résistances et des blocages du côté du ministère des Sports », pense savoir Éric Diard. Selon le député LR, Roxana Maracineanu « est très réticente » sur les sujets de communautarisme dans le sport. La politique n’est jamais bien loin.